No spoil, ou presque…


Après le plutôt bon Le 15 h 17 pour Paris, Clint Eastwood nous revient ici dans une plus grande forme, après sept ans d’absence en tant qu’acteur.


Comme son précédent film, Eastwood travaille ici une mise en scène assez singulière, mais sans pour autant oublier de la ménager avec une certaine délicatesse. Sans doute pour mieux travailler le fond de son sujet. La composition des plans est plus simple et plus contemplative. Le rythme du film est plus doux, moins soutenu, que le reste de la filmographie d’Eastwood, ce qui permet, sans doute, au spectateur de mieux profiter de l’œuvre proposée. Le réalisateur s’éloigne ici des artifices habituels du cinéma américain, ou plutôt hollywoodien, pour nous nous livrer l’une de ses œuvres les plus personnelles.


Avec cette nouvelle œuvre, celui qu’on pourrait encore surnommé Dirty Harry, nous donne l’impression qu’il s’offre une nouvelle jeunesse. Via son rôle d’Earl Stone, librement inspiré de Leo Sharp, semble vouloir parler de sa propre expérience de la vie. Son âge avancé, qui correspond à celui de son personnage, semble lui avoir fait comprendre certaines choses.


Finalement, le personnage Eastwoodien semble avoir pris le pas sur le personnage du film, où plutôt une assimilation entre ces deux personnages, qui ne sont pas si éloignés. Ce qui est d’ailleurs très intéressant, est le fait qu’Eastwood fasse jouer sa propre fille, qu’il a eue avec sa première femme. Ce qui peut faire totalement écho avec l’aspect autobiographique imposé par le réalisateur, bien au-delà de la simple adaptation d’une tierce histoire vraie. De plus, Earl Stone et Clint Eastwood ont à peu près le même âge, ce qui aide à cette assimilation entre ces deux personnages, qui déjà prouvés leurs existence respectives et qui n’ont, finalement, plus grand à perdre et qui cherchent, au contraire, une reconstruction de leurs vies.


Par ces aspects, Clint Eastwood semble adresser une véritable lettre d’excuse à l’ensemble de sa famille. Il demande pardon à tous les proches à qui il a pu faire du mal. On peut donc y voir une certaine urgence de vivre l’instant présent, de peur que ce soit le dernier. On ne pourrait dire s’il pourra encore faire des films avant son levé de rideaux. Sans doute pris d’une certaine nostalgie, Clint essaye tout de même d’avancer dans ce monde qu’il ne connaît plus, ou du moins quasiment pas et attend son heure de grâce, comme a pu le faire son personnage de Walt Kowalski dans Gran Torino, mourir en homme bon.


Clint semble avoir pris beaucoup plus de plaisir à faire ce film, comme peut le démontrer cette scène de fête chez Laton, le chef du cartel mexicain, campé par Andy Garcia, qui ressemble d’avantage à un clip MTV qu’à un classique de l’âge d’or avec John Wayne. Ce qui est sans doute mieux. Que ce soit Earl Stone ou Eastwood, les deux semblent avoir compris leurs erreurs et en assument les conséquences. Ils ont compris comment prendre le bon recul pour profiter de la vie et de la simplicité qui va avec.


Avec ce film, monsieur Clint a aussi su mélanger les genres. On peut y retrouver du Western, genre qui a fait la renommée d’Eastwood, du film de gangsters, du thriller, ainsi que le drame familiale, tout en essayant de les dépoussiérer. Lors de ses voyages en voiture, on peut admirer de très beaux paysages, qui auraient sans doute mérités d’être tournés avec un grand angle ou un objectif 70 mm, comme le film Les 8 Salopards, de Quentin Tarantino. Ainsi, on aurait pu mieux admirer cette Amérique profonde.


Eastwood semble donc ici réinventer son art, en s’éloignant des tons trop sérieux et sombres de Mystic River, Millions Dollars Baby ou encore J. Edgar. Il semble plutôt dans cette quête de rédemption, sans doute déjà amorcée par Gran Torino, où il jouait déjà un homme d’un âge avancé voulant se racheter une conduite envers ce jeune d’origine hmong, qu’il prend sous son aile. Dirty Harry sait maintenant vivre, veut vivre, sans réellement se soucier du lendemain. D’ailleurs, comme il dit si joliment dans ce film, ce n’est qu’à 99 ans qu’on rêve d’être centenaire. On comprend alors très vite que le temps de s’achète pas et qu’on ne vit que deux fois.


L’un des rares bémols qu’on pourrait remarquer dans ce film, c’est le manque de développement du personnage de Colin Bates, l’agent de la DEA, campé par Bradley Cooper. J’aurai voulu en savoir un peu plus lui, sa personnalité, son passé et son rapport avec sa famille. Ça aurait pu faire un bon effet miroir avec le personnage d’Earl Stone. Mais c’est quand même intéressant de voir ces acteurs ensemble, l’un qui représente l’ancienne génération et l’autre la nouvelle. Surtout que Bradley Cooper a déjà joué pour Eastwood, dans American Sniper, et est passé à la réalisation d’un long-métrage produit par Clint. Lors du discours que fait le personnage d’Earl Stone à cet agent de la DEA, dans la cafétéria, on pourrait donc y voir une sorte de passation de pouvoir entre ces acteurs. Cela peut, encore plus, accentuer l’aspect autobiographique de cette œuvre. Eastwood aurait sans doute du creuser un peu plus cette relation ‘’père/fils’’ pour donner plus d’émotion à ce récit.


Un autre petit bémol concerne le personnage du supérieur de Colin Bates, campé par Lawrence Fischburne. En effet, malgré cette tête d’affiche, le personnage n’est pas très intéressant. Mis à part le fait de s’inquiéter du budget, pour finalement laisser Bates mener son enquête, ce personnage ne sert à rien. L’histoire de ce film peut très bien se passer de lui pour avancer.


Ces personnages ont donc beaucoup de mal à exister, ce qui est vraiment dommage. Colin Bates et son supérieur restent des êtres humains et se doivent d’avoir une certaine sensibilité, ce qui n’est pas retranscrit à l’écran. Même si l’histoire est celle d’Earl Stone, Eastwood est peut être un peu trop égocentré sur lui-même et n’a pas su assez déléguer à ses personnages secondaires.


On pourrait aussi reprocher à l’acteur/réalisateur, sans doute, son manque de surprise dans sa mise en scène. Il prend moins de risques qu’auparavant pour la composition de ses images, mais au moins, il montre qu’il sait encore faire des films et qu’il en a encore dans le ventre.


Mais ce qui est réellement intéressant avec ce film, c’est qu’il montre de nombreux problèmes sociaux aux Etats-Unis. Eastwood ne cherche pas forcément à les régler, mais prend au moins la peine de les montrer et de faire questionner le spectateur. Il y a, par exemple, ce problème du racisme, qui peut être très présent chez certains américains, que ce soit envers les latino-américains ou les afro-américains. C’est pour cela que je trouve qu’il va dans la continuité de Gran Torino, qui était peut être un peu plus politique. On pourrait aussi remarquer ce problème du travail chez les personnes d’un certain âge. En effet, beaucoup ne peuvent se payer une assurance décente et sont obligés de continuer à travailler après la retraite et essayer de survivre. Clint Eastwood se transforme donc ici en victime de la société, loin du temps où il jouait les cowboys sans foie ni loi pour le compte de Sergio Leone. Eastwood se montre ici physiquement affaibli et ne s’est jamais montré aussi réaliste.


Par ailleurs, comme a pu être la trilogie du dollar, composée de Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, ainsi que Le Bon, La Brute et Le Truand, où suivait les aventures d’un homme solitaire et parfois violent, sans regret et sans remord, on peut voir La Mule comme le dernier film d’une trilogie sur la rédemption, commencée par Million Dollar Baby et continuée par Gran Torino. A noter que c’est le même scénariste pour Gran Torino et pour La Mule et que les deux personnages principaux sont des vétérans de la guerre de Corée, ainsi la boucle est bouclée.


A l’inverse de son personnage de Blondie dans les films de Leone, Eastwood cherche ici à se rapprocher des gens, quitte à mourir pour eux. On peut donc voir ici une déconstruction de l’archétype du héros que Clint a véhiculé jusqu’à maintenant, puisque ses personnages, surtout Earl Stone, ont des failles, des faiblesses. Ils ont un âge avancé et n’ont pas forcément le physique d’un Schwarzenegger ou d’un Stallone, mais ont un mental d’acier quasi infaillible.


En bref, ce film est un film humain, qui a su montrer certaines facettes d’une Amérique parfois puritaine, mais qui essaye de changer vers une vie meilleure et plus tolérante. Même s’il est parfois nostalgique d’une certaine époque, Eastwood veut montrer qu’il sait s’amuser et qu’il veut prendre du bon temps. Comme peut le démontrer cette évolution avec sa relation avec les petits gangsters mexicains, qui lui apprennent à se servir d’un téléphone portable et l’appellent, plus ou moins affectueusement Tata, mot familier pour désigner un grand-père.


Un grand-père qui, tel un boxeur proche de la retraite et toujours combatif, est sans doute en train de vivre son quinzième et dernier round. Il en laissera sûrement quelques dents, mais partira en apothéose et apaisé de cette riche et longue carrière, parfois semée d’embuche mais qui a toujours se relever pour aller toujours plus loin et toujours plus haut. La Mule est peut être la dernière corde qui permettra à Eastwood de rester debout et vivant avant le retentissement final de la cloche.

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le 11 juil. 2021

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Alex_Morrison

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