https://www.benzinemag.net/2024/02/29/la-mere-de-tous-les-mensonges-de-asmae-el-moudir-limage-manquante/

L’idée de ce film est née au moment du déménagement de ses parents, lorsque la réalisatrice retrouve une vieille photo représentant des enfants à l’école, et sur laquelle elle apparait. Mais Asmae est persuadée qu’elle n’est pas l’enfant de la photo…


Lorsqu’elle était enfant, il n’existait aucune photo d’elle. Après avoir interrogé sa mère, celle-ci lui a finalement donné une photo d’une autre petite fille, lui faisait croire qu’il s’agissait bien d’elle. Bien plus tard, la mère d’Asmae lui expliquera que sa grand-mère ne tolérait aucune photo dans la maison où ils vivaient, hormis celle du roi Hassan II. Mais c’est beaucoup plus tard, au moment du tournage, que la vraie raison, bien plus douloureuse, sera révélée.


Pour évoquer ce traumatisme d’enfance, et plus largement, pour parler de sa famille, mais aussi des de son pays, et notamment des émeutes de Casablanca, en 1981, Asmae El Moudir a rassemblé toute sa famille dans l’intimité de son atelier, autour de maquettes représentant la médina de son enfance à Casablanca, et aussi de figurines miniatures à l’effigie de chaque membre de la famille, fabriquées par son père, à partir d’argile, de tissus, de bois et de peinture.


Un dispositif qui permet à cette famille de se replonger dans ses souvenirs, d’évoquer les traumatismes anciens, de tenter de se parler, de faire la paix avec un passé douloureux fait de non-dits, de mensonges, d’autoritarisme et d’incompréhensions. C’est aussi l’occasion d’évoquer le 21 juin 1981, cette terrible nuit des « émeutes du pain » à Casablanca, quand l’armée est intervenue pour repousser les gens venus manifester contre l’augmentation injuste du prix de la farine, entraînant la mort de centaines d’adultes et d’enfants, que l’Etat a ensuite fait disparaître et enterrer clandestinement.


Le récit de cette nuit que tout le monde a voulu oublier, est l’un des moments forts de ce documentaire, raconté à la fois par les petites figurines et le récit d’un proche, arrêté et enfermé dans une prison minuscule, entassé avec d’autres qui finiront étouffés, et d’où il sortira vivant, presque miraculeusement.


Tous ces souvenirs nous sont racontés avec beaucoup de pudeur et de poésie, grâce à l’utilisation des maisons de poupées et des petites statuettes dans un film oscillant entre documentaire et film d’animation, qui rappelle par certains aspects le magnifique L’image manquante de Rithy Panh.


Un dispositif où les personnages de bois et les humains finissent par se confondre, comme en une sorte de catharsis remarquablement mise en scène, grâce a des jeux de lumières pleins de couleurs, des travellings, des zooms, des contre-plongées, ainsi qu’une bande sonore faite de bruits et de musiques.


Un travail remarquable, devant et derrière la caméra, avec des protagonistes, qui ont accepté de se plier à cette sorte de « thérapie de groupe », entourés par la cinéaste qui garde en permanence la distance nécessaire pour ne pas faire de ce film quelque chose de lourd et d’indigeste. Bien au contraire. Car malgré, parfois la dureté du récit, on est en permanence happé par ce qui se vit dans petit théâtre familial, par ce dispositif hybride tellement original et intelligent.

BenoitRichard
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste FILMS de 2024

Créée

le 29 févr. 2024

Critique lue 96 fois

2 j'aime

Ben Ric

Écrit par

Critique lue 96 fois

2

D'autres avis sur La Mère de tous les mensonges

La Mère de tous les mensonges
PabloEscrobar
7

Anatomie d'un "chut"

Si l'on retient bien une leçon en sortant du visionnage de La mère de tous les mensonges, c'est que le silence ne se définit pas forcément par la retenue craintive et que le mensonge ne se définit...

le 4 mars 2024

9 j'aime

2

La Mère de tous les mensonges
Sergent_Pepper
7

Mémoire, mode d’emploi

L’inventivité narrative à l’épreuve du silence imposé par les tenanciers de l’Histoire : le principe est vieux comme le monde, mais ne s’essouffle jamais, et semble actuellement prendre un nouvel...

le 5 mars 2024

5 j'aime

La Mère de tous les mensonges
Mr_Purple
5

La parole manquante

On en aura vu ces dernières années des documentaires de cette facture, c’est-à-dire formatés par la fiction, dont l’exemple le plus marquant était le film de Laura Poitras. En reconduisant le...

le 3 mars 2024

3 j'aime

Du même critique

Le Mans 66
BenoitRichard
5

Critique de Le Mans 66 par Ben Ric

Déçu par Le Mans 66, film dans lequel je n'ai vu qu-une banale histoire de rivalité, pleine de testostérone, de vroum vroum et de "c’est qui meilleur" ? Certes les voitures sont belles, la...

le 16 nov. 2019

25 j'aime

1

Antoinette dans les Cévennes
BenoitRichard
5

décevant

Difficile pour moi de comprendre la quasi unanimité critique autour du film de la réalisatrice Carole Vignal dans lequel on suit une femme partie randonner dans les Cévennes sur les traces de son...

le 20 sept. 2020

24 j'aime

2

Petite Fille
BenoitRichard
8

émouvant et nécessaire

“Quand je serai grande, je serai une fille”, répète Sasha depuis qu’elle a 3 ans. Sasha est une petite fille comme les autres sauf qu’elle est née garçon. Malgré la présence d’une famille...

le 1 déc. 2020

21 j'aime