Qu’ils sont beaux, grands et intenses les yeux de Bette Davis, ces yeux légendaires, mythiques même, que Kim Carnes immortalisa dans une chanson en 1981. William Wyler trouve ici à les mettre au service d’une Bette Davis qui, sans être le plus mémorable des sex-symbols d’Hollywood, marque d’un charisme énigmatique un film imprégné de la noirceur de son personnage principal.

Dès l’ouverture, on sent une maîtrise absolue du film par son metteur en scène, Sumatra, une plantation d’hévéa (le fameux arbre à caoutchouc), des gouttes de sève qui tombent des troncs et marquent le temps, le tempo même. On entend alors des coups de feu qui proviennent de la maison du propriétaire. Une femme tue un homme, paraît Bette Davis armée d’un revolver et de ce regard qui n’a pas d’égal au cinéma et glace par sa densité. C’est incroyable de parvenir à communiquer tant de choses sans prononcer un beau, sans battre d’un cil. Elle commence par la suite le récit des événements, entourée de son mari et d’un ami avocat. Cet homme, ami du couple, lui aurait fait des avances et aurait tenté de la violer, raison pour laquelle elle l’aurait tué.

On sent immédiatement que quelque chose cloche dans son récit qui semble, trop récité justement. On ne parvient pas pour autant à mettre le doigt dessus, jusqu’à l’apparition de cette lettre compromettante détenue par la veuve de la victime et qui semble prête à la vendre. Le reste du film suit le chemin assez classique du procès avec ses rebondissements et ses doutes, reste l’intensité et la densité que Wyler parvient à insuffler à son récit pour le rendre totalement captivant.

C’est de tension que se nourrit La Lettre, de couteaux tirés qu’il s’alimente. Dès les premières minutes, on ressent presque jusque dans l’estomac cette intensité faite de non-dits, de mensonges et de faux-semblants. Bette Davis y est pour beaucoup tant elle parvient à jouer sur les deux aspects d’un personnage de femme éminemment respectable mélangée à quelqu’un de parfaitement humain et soumis comme chacun à des pulsions inavouables. La caméra de Wyler ne vient en rien perturber l’intrigue tant elle a plus l’air d’assister aux scènes que des les filmer, tant les mouvements qu’il donne aux images allient de la spontanéité à une fluidité toute entière faite de douceur.

La Lettre n’aurait certainement pas été le même film sans Bette Davis, non pas que le film ne tienne pas sans elle, mais on sent qu’elle en fait partie intégrante, comme un cœur appartient à un corps, si beau qu’il puisse être. La comparaison paraîtra hasardeuse mais La Lettre un être vivant, un des plus beaux, de ceux qui captivent jusqu’à l’hypnose et Bette Davis en est le cœur battant. Sans elle, cet être existe encore mais ne vit plus.
Jambalaya
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le 5 mai 2013

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