Aux frontières du réel

À mi-chemin entre un drame d’époque et une réinvention d’un drame en animation, La Jeune fille et les paysans, écrit et réalisé par DK Welchman et Hugh Welchman, raconte l’histoire de Jagna, une jeune femme du 19e siècle déterminée à tracer sa propre voie dans un village polonais dominé par un profond patriarcat.

Réaliser un film d’animation qui capture parfaitement l’esthétique d’un tableau, avec bien sûr l’aide de peintres, est indéniablement un exploit cinématographique. Mais, surtout, les choix stylistiques utilisés donnent une sensation d’authenticité indéniable, résumant à elle seule l’époque à l’écran. Cela permet au film de sortir de ses racines sombres, l’histoire pouvant être dure et impitoyable, pour trouver la lumière et l’énergie grâce à son visuel.

Basé sur un roman du lauréat du prix Nobel Wladyslaw Raymont, La Jeune fille et les paysans capture une année de la vie d’un village paysan de la Pologne rurale. Jagna est une simple agricultrice, qui est encouragée à se marier pour obtenir un statut social. Comme les chapitres suivent le déroulé des saisons, le récit prend la forme d’un ensemble de quatre vignettes, chacune détaillant une phase de l’évolution de la ville. Chaque changement d'environnement apporte une nouvelle palette de couleurs, transformant le décor en un personnage à part entière ; un environnement capricieux, presque onirique, qui se distingue par ses changements radicaux.

On peut distinguer une certaine dissociation entre l’extraordinaire qualité formelle de l’image, dans laquelle on peut remarquer, sous la couche de peinture à l’huile, les images fixes tournées à l’origine avec des acteurs et des actrices, et le scénario, qui n’est pas trop subtil dans l’exposition de cette histoire d’ambition, de jalousie, de passions, d’envie, ou de désirs. Ceci, bien sûr, n’enlève rien à la beauté retentissante de ce film vraiment unique, dont le visionnage est un régal pour les sens. Car, en plus des belles images réalisées par les Welchman, avec leur armée de peintres, le film a une bande-son, coordonnée par Lukasz Rostkowski, pleine de belles chansons et compositions du folklore slave, avec des rythmes vertigineux qui conviennent bien à la tonalité volcanique de l’histoire : chaque saison regorge d’émotions fortes, tandis que les transitions sont toujours soignées.

Cette beauté, modulée à l’histoire qui nous est racontée, n’est cependant pas une fin en soi. L’aspect pictural du film (inspiré par les peintres réalistes polonais des XIXe et XXe siècles, tels que Chelmonski, Ruszczyc et Wyczólkowski) se dilue peu à peu : on voit de plus en plus d’acteurs et de moins en moins d’images peintes qui les représentent. Jusqu’à ce final, après une séquence fortement émotionnelle, où le personnage de Jagna apparait dépouillé de tout ajout artistique, retranscrivant un dépouillement progressif de la beauté idyllique initiale de l’histoire : son enfer est tel, qu’il n’y a plus aucunes formes picturales qui puissent venir l’adoucir.

De même, l’un des aspects les plus efficaces de La Jeune fille et les paysans est la façon dont il montre comment les côtés laids de l’humanité peuvent exister dans de très beaux décors. Les lieux extérieurs sont vivants et idylliques, comme dans les scènes où Jagna et Antek se rencontrent dans des champs bruissant ou près d’étangs tranquilles qui ont un sentiment sous-jacent de danger s’ils sont pris en train de commettre l’adultère. Et pendant le mariage misérable de Jagna avec Maciej, elle vit dans une maison luxueuse semblable à une cage dorée.

En ce sens, on voit dans le film un certain souffle féministe, une dénonciation de la façon dont les sociétés peuvent être pleine de mépris et de ressentiments. Même si le film n’est pas parfait (problème de rythme, personnages parfois sous-développés), il parvient joliment à délivrer un message d’espoir et d’humanisme.

(7.5/10)