Cette critique spoile le film La Haine.


Plus de vingt ans après rien n'a changé. C'est avec ce constat amer que je ressort de mon revisionnage de La Haine. Avec ses dialogues incisifs, parfois loufoques, parfois remplis de vérité, le film reste encore d'actualité comme la voix de ceux que l'on écoute pas. Mais au delà d'une vision politique forte et sans concession sur son époque, La Haine est pour moi, et avant tout, un des chefs-d'œuvre du septième art français.


Avant même le premier plan, Mathieu Kassovitz choisi d'ancrer son film dans la réalité de son époque en montrant des scènes d'émeutes en guise d'introduction. Une idée renforcée par le fait que les personnages du film ont des noms directement inspirés par les acteurs qui les jouent.


Puis vient le premier plan. Un coup de feu et un visage aux yeux fermés. Ce visage c'est le même qu'à la fin du film, les yeux clos alors qu'un coup de feu s'apprête à résonner. Par cet effet miroir, Kassovitz scelle déjà le destin des personnages vers leurs fins inéluctables. Le compte à rebours présent pendant tout le film, et son tic-tac comme une bombe prête à exploser, n'est que le rappel que le sort des personnages est déjà déterminé.


Mais ce qui marque avant tout dans La Haine ce sont ses choix esthétiques. Le choix du noir et blanc tout d'abord. Il donne tout de suite un cachet unique au film, apportant dès lors une noblesse que seul lui peut imposer. La Haine c'est aussi des cadres hautement travaillés, des ralentis splendides, des mouvements de caméra grandioses ou des jeux de miroirs qui le sont tout autant. Je pourrais en citer encore beaucoup d'autre car La Haine est un de ces films qui ont au moins une idée par plan.


Cependant, si on ne devait en retenir qu'un, ce serait sûrement ce plan où les trois personnages viennent tout juste de débarquer à Paris. Kassovitz choisi alors d'utiliser un travelling compensé (ou effet Vertigo pour les intimes).


Pour faire simple, cet effet consiste à effectuer un travelling et de le compenser (d'où le nom) grâce à un zoom et qui donne un changement brusque des perspectives. Ici, cela amène à un enferment des personnages qui jusqu'alors respiraient dans le cadre et qui sont subitement étouffé par ce dernier. L'effet souligne donc l'état d'esprit des personnages, face à un environnement qui n'est pas le leurs. Ils se sentent asphyxié, sans repère, face à cette plongée dans l'inconnue, plongée dans la haine et ce jusqu'à la fin du film.


Cette haine, les trois personnages principaux en sont trois représentations différentes. D'abord il y a la haine de Vinz, la plus évidente à cerner car Vinz à la haine de tout. Il veut mettre le monde à feu et à sang, quel qu'en soit le prix. La haine de Saïd, c'est l'absence de haine. Une certaine innocence qui préfère fermer les yeux face à horreur du monde, à l'image du dernier plan du film. Il y a enfin la haine de Hubert, ou plutôt les vestiges de la haine. En effet, même si on ressent qu'Hubert a eu cette haine à un certain moment, il fait plus office de voix de la raison durant tout le film. Cette raison qui peut pourtant disparaître et laisser la haine resurgir face à certains événements car la haine attise la haine.



C'est les même qui votent Le Pen mais qui sont pas racistes.



Hubert Koundé, La Haine (1995)


Pour finir, deux petits bonus. En premier, une interview de Jodie Foster expliquant la genèse du film et des inspirations de Kassovitz, entre autres.


Le second, une analyse très complète sur les premières minutes du film.

Venceslas_F
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le 1 janv. 2018

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Venceslas F.

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