D’Erwan Le Duc, La Fille de son père est la première réalisation du bonhomme que je découvre, et qui plus est, sans réelle information sur son sujet, si ce n’est qu’on allait avoir droit à un film… inventif. Inventif c’est sûrement le mot qui irait le mieux à ce Le Duc je pense, parce que sous couvert d’une prémisse pas forcément des plus originale, il rappelle aisément que la manière de raconter une histoire est artistiquement bien plus intéressant que l’histoire en elle-même.




Je parle depuis tout à l’heure de prémisse mais quelle est celle de ce La Fille de son père ? Tout simplement, la petite vie d’un père et sa fille alors que cette dernière est sur le point de quitter le cocon familial pour les beaux-arts de Metz. Menu détail (mais pas des moindres), la mère de Rosa (la fille, CQFD), a abandonné son mari peu après la naissance de sa fille, une disparition volontaire, laissée sans explication, mais qui n’est jamais le centre dramatique du film d’Erwan Le Duc. En effet, on comprend très vite que le père a décidé pour son bonheur et celui de sa fille, de ne pas chercher à retrouver sa femme, il accepte littéralement ce choix pas des plus moral, comblant cette épreuve et cette soudaine absence par la présence de sa fille. Or, avant que cet élément narratif ne vienne resurgir, le long-métrage a bien avancé, et jusque-là, on pouvait presque parler de sous-intrigue, pour laisser une place bien plus considérable à la relation entre Nora et son père, Etienne. Cependant, c’est là que surgit l’un des point noir de La Fille de son père, c’est que cette relation stagne beaucoup, pas forcément dans l’objectif de laisser des indices quand au déroulé de l’intrigue, ou alors dans l’amorce de nombreux personnages et situations, plus ou moins importantes. En bref, Erwan Le Duc étoffe sa prémisse plus qu’il développe son intrigue, mais à force de trop compter sur la personnalité et la relation de ses deux personnages, il oublie pour moi de les développer ; bien qu’il accord le fond et la forme de son récit, par rapport à l’entêtement d’Étienne de laisser cette femme derrière lui. En revanche, j’ai eu la lourde et triste impression que le long-métrage faisait du sur-place, jusqu’au dernier tiers, on rentrait dans la vie de cette famille, à grappiller chaque perche que le metteur en scène peut lancer, mais toujours à attendre une quelconque continuité. Pas que je veuille voir à tout pris une histoire bien structuré, mais c’est dans cette direction que se rattache toujours Erwan Le Duc, qui m’a semblé tiraillé entre sa simple chronique familial et un impératif d’écriture ; qui m’ont laissé un goût de déception par rapport à toutes les situations, et les personnages tous merveilleusement interprétés.

Parce que même si ce point est mal développé par le metteur en scène, le duo Nahuel Pérez Biscayart et surtout Céleste Brunnquell ont une alchimie résolument émouvante tout en restant authentique. Ils sont toujours complices, s’aimant l’un comme l’autre, avec leurs propres personnalité résultante de leur âge plus ou moins vénérable. Malgré une écriture très redondante dans une grande partie de son déroulé, Erwan Le Duc dépeint donc deux personnages profondément attachants et surtout crédibles dans leur représentation, entouré d’autres personnages plus secondaires, tout aussi passionnant, mais plus singuliers, plus cinématographique. En plus d’un caméo de mademoiselle Lvosky, on compte notamment le personnage de Youssef, un premier amour pour celui de Rosa, un poète si timide et extravagant qu’il en devient attachant, et surtout celui d’Hélène, interprétée par Maud Wyler, amante d’Étienne, le père, qu’on sent liés par une passion plus ou moins imagée. Car avant d’en venir au point principal de La Fille de son Père, l’image, il est bon de rappeler qu’Erwan Le Duc sait écrire ses personnages, mai surtout ses dialogues ; que ce soit dans un apport purement cinématographique, avec des touches de comédie ou des phrases ampoulées qui font souvent leur effet, ou au contraire quelque chose de plus simple, des échanges pères filles toujours ancrés dans une certaine poésie, mais qui embrassent l’authenticité de leurs personnages. Jusque dans les situations plus ou moins banales, le réalisateur réussit presque systématiquement à trouver une manière de détourner nos attentes et surtout à faire de cette chronique père-fille un vrai duo de cinéma ; dont le passé resurgissant ne fait qu’expliciter ce mélange d’authenticité et de pure fiction.



Difficile jusque là de ne pas pointer LE point qui caractérise La Fille de son Père, et même le cinéma d’Erwan Le Duc : l’image. En effet, plus que de simplement témoigner de la beauté de nombreux plans, des réussites en terme de mise en scène, il me faut surtout souligner ce que ces initiatives du metteur en scène représentent d’un point de vue esthétique. En un mot, pour moi, ce long-métrage est clivant, clivant car ce que certains pourraient voir comme une bénédiction, d’autres une indigestion, car Erwan Le Duc est dans sa mise en scène extrêmement généreux. Il y a littéralement toujours une idée par plan, qu’elle soit de l’ordre du décor, de la disposition des comédiens, de leur jeu d’acteur, le travail de la photographie, des lumières, etc, à ajouter à un montage profondément survolté, et le résultat sera, pour le spectateur, soit de l’admiration, soit de la détestation. Pour ma part je me situerai entre les deux, tout en gardant un œil bienveillant et sincèrement épaté par le spectacle offert par La Fille de son père. Sauf qu’à force d’abreuver son film d’idées, de toujours être fantasque, et malgré ses 1h30, le long-métrage peut sembler long, et surtout épuisant dans son rythme constamment frénétique, ne semblant jamais perdre la moindre seconde, sauf dans son dernier tiers bien plus calme, surtout lors des dernières scènes. De ce fait, le fun impondérable de ce long-métrage loufoque peut rapidement dériver vers l’agacement pour ne pas dire l’indigestion. De ce fait, pour ce qui est de l’émotion, c’était dès lors un peu plus compliqué de m’impliquer complètement dans les idées comiques et plus dramatiques du long-métrage, car ayant toujours l’impression d’être face à un objet qui fait cinéma. En tout cas, difficile de ne pas voir le travail admirable réalisé par Erwan Le Duc, d’autant qu’il réussit à transmettre la poésie de l’écriture vers sa mise en scène. Comme par exemple par cette intro de plusieurs minutes, racontant la rencontre, l’amour, le brusque abandon, bref, l’amorce, sans un seul dialogue, avec une mise en scène à la fois flottante et vive, qui laisse autant se déployer le talent des deux comédiens, que le travail d’image, avec notamment un plan sur un tunnel proprement sublime. Jusque dans la manière de savoir où se situerai la mère, le film tombe dans le loufoque et de manière inattendue, en plaçant le tout dans un contexte de quotidien. Toujours au détour d’une scène en apparence banale, le metteur en scène arrive presque systématiquement à placer une dose d’inattendu dans le placement du cadre comme des comédiens. Un trou en plein milieu de la cuisine, une estrade sur un stade de foot, une chute dans un escalier, un baiser dans une salle de classe ; jusqu’à une littérale téléportation dans un même plan, Erwan Le Duc multiplie les plans inventifs en utilisant à profit tous les éléments cinématographique.


Parfois très efficace, parfois très lourd, mais toujours à fond, La Fille de son père a eu le mérite de me charmer sur ses aspects les plus remarquables malgré que son trop-plein de cinéma puisse en laisser beaucoup sur le pas côté, pour ne pas dire contre-productifs. Nonobstant, le long-métrage m’est resté en tête plusieurs semaines passé le visionnage, et reste un formidable cadeau pour la rétine et ses deux interprètes aussi authentiques que touchants.

Créée

le 21 déc. 2023

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Vacherin Prod

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