Conjuguer au féminin certains types de cinéma, dit masculin, pourrait être riche d'enseignements, surtout si on parle de film de prison : on pourrait assister à une passionnante réflexion sur la condition de la Femme, prisonnière d'un microcosme phallocratique où se jouent inégalité sociale, sadisme et relation de pouvoir. Malheureusement, la logique commerciale prenant souvent le pas sur toute préoccupation sociale ou féministe, on se retrouve avec des productions bas de gamme qui se contentent de pousser un public voyeur dans les salles. Seulement dans le Japon des 70's la nuance est de mise et certaines œuvres, comme La femme scorpion, se trouvent tiraillées entre cinéma d'exploitation et cinéma engagé, entre spectacle graveleux et audace artistique.


En bon représentant du Pinku eiga, La femme scorpion comporte son lot de corps dénudés et de passages sadiques. Fesses, seins et petites culottes composent ainsi la majorité des plans, Shun'ya Itô n'hésitant pas à ajouter quelques scènes purement gratuites afin de bien respecter son quota (passage sous la douche, relation lesbienne, etc.). Et comme pour mettre un peu plus à l'épreuve notre capacité à la tolérance, les jeux de pouvoir et de domination sont bien souvent réduits à une accumulation outrageuse d'humiliations, de coups et de brimade... La surenchère est tellement grossière et mal amenée qu'elle n'évite pas le mauvais goût "nanardesque", faisant ressentir bien souvent les terribles effets de la lassitude.


Alors bien sûr, on comprend très vite la volonté de Shun'ya Itô de s'attaquer aux symboles du pouvoir, aux institutions, représentés ici par un milieu carcéral écrasant le plus faible et par des serviteurs dépourvus de toute humanité. Seulement notre homme maîtrise mal son sujet et tombe souvent dans le symbolisme lourdingue (le drapeau japonais qui se confond avec un drap ensanglanté, les tortionnaires machistes excessivement caricaturaux, etc.). Le manque de finesse probant vient souvent alourdir une mise en scène qui peine à s'extirper des codes inhérents à ce type de production. Résultat, certaines séquences apparaissent poussives et anesthésiantes, malgré les efforts de la belle Meiko Kaji . L'une des plus emblématiques demeure celle où notre héroïne creuse des trous sous le regard des gardiens et des autres détenues. Le message sous-jacent, a priori explicite (l'écrasement du plus faible par un pouvoir tout-puissant, la manipulation des masses permettant la pérennité du système), semble soudainement inaudible. Fort heureusement, Shun'ya Itô tentera de corriger ses errements avec le second opus, Elle s'appelait Scorpion, bien mieux réussi.


Néanmoins, La Femme scorpion se distingue du banal film d'exploitation par son esthétisme travaillé qui n'est pas sans rappeler celui de l'inénarrable Seijun Suzuki, et plus particulièrement son chef-d’œuvre pop, La barrière de chair. On pense bien sûr à ce jeu sur l'éclairage, ce dénivelé de couleurs chatoyantes, qui exalte magnifiquement les tourments de l'héroïne. La vitalité de la mise en scène et le choix de cadrage pour le moins surprenant nous réservent quelques belles audaces visuelles qui ont le mérite de servir le récit (la scène du viol, perçue en contre-plongée, nous permet d'adopter le point de vue horrifié de la victime). Et puis, il faut reconnaître que certains excès nous apparaissent étonnamment digestes grâce au ton employé qui ne se veut pas réaliste : les éclairages bleutés donnent une apparence spectrale à une assaillante, l'immobilité du directeur qui vient de se faire crever un œil désamorce la violence de la scène.


Si les maladresses de la réalisation et le manque de finesse du scénario ne permettent pas à La femme scorpion de convaincre sur la longueur, le film n'en demeure pas moins une vraie curiosité, prouvant que le cinéma d'exploitation peut être propice à une véritable démarche artistique tout en portant un regard critique sur la société.

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le 3 mai 2022

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Procol Harum

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