Inspiré du roman de Kobo Abe, Hiroshi Teshigahara flirte avec l’absurdité pour dessiner les contours d’une œuvre, allant de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Pensant être seulement hébergé par des habitants d’un village situé au bord de mer, un professeur féru d’entomologie se fera en quelque sorte kidnapper, et enfermer dans une petite maison délabrée. Placé dans le creux d’une falaise de sable insurmontable, et emmuré dans un enclos mouvant, cet homme va alors se redéfinir pour ainsi donner un sens à sa nouvelle existence. A ses côtés, une femme. Mystérieuse et dévouée à son seul travail : celui de faire fructifier le sable en l’enlevant de cette falaise.

Ces deux otages, si l’on peut dire, vont alors commencer une introspection intérieure. De cette dualité citadin/rural, de cette «colocation » forcée, débutera une dualité entre les deux personnes, une attirance proche de la trahison et de la répulsion, une relation à la présence matérielle, un questionnement sur leur place précise et leur condition humaine et inhumaine. Pourtant, elle, derrière son sourire inculte et ses courbes avantageusement ensoleillées par les grains de sables chauds, cache avec pudeur la disparation de son mari et de son fils. Emportés par les vagues de sables. La nature prenant le dessus, comme une inamovible destinée. C’est elle qui décide et l’humain en est tributaire.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Une quête longue et minutieuse vers le salut du destin kafkaien . Celui qu’on ressent et qu’on met du temps à accepter. Alors qu’il cherchait à découvrir des insectes prisonniers de ces longues dunes de grains de sables, voilà que cet homme marche dans le sable sans avancer, devenant alors l’amusement de tout un village, à la limite de la civilisation à l’image de cette fête quasi tribale où les deux jeunes gens seront en quelque sorte les jeux du cirque de toute une population. Le professeur qui devient l’objet des regards et facétie. Proche de la nouvelle vague, par ce montage se jouant des échelles, Hiroshi Teshigahara filmera avec méticulosité les petits détails du quotidien ; assécher la fine nudité des corps meurtris par l’aridité de la solitude ; sculpter les horizons perdus de son gigantisme.

Jonglant à travers cette relation sensible et distante, scrutant les perspectives de survie, d’évasion ou de consolidation des méandres de son ménage arrangé, par le prisme de la critique sociale et existentielle d’une société nippone loin des centres urbains, ce professeur aspiré par l’effort voit naitre en lui une matérialité de ses engagements par l’acceptation de sa condition. Un amour naissant par l’ode du vécu et l’approbation. Cette mutation passant de l’animalité à l’humanité, vue comme une première mort, une deuxième naissance où un homme et une femme seront liés à vie par l’immortalité d’une chance passée à la radio.
Velvetman
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le 5 janv. 2015

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