Argine, femme-enfant instable et quelque peu irresponsable, vit avec son frère Aurélien dont elle est totalement folle d'amour. Tout deux sont orphelins et pauvres, elle ne travaille pas ou peu et drague tout ce qui lui passe sous le nez, lui est fleuriste et vend des métaux volés pour tenter d'améliorer un peu l'ordinaire. Simon (Darroussin surprenant et inattendu) est son recéleur, tout d'abord posé et rassurant, il semble ensuite de plus en plus nerveux et au bord de la rupture. Lorsqu'il exige d'accompagner Aurélien à la vente du cuivre volé, on sait que c'est une erreur fatale et qu'en acceptant, ce dernier commet l'irréparable qui l'entrainera vers une longue et douloureuse descente aux enfers, brisant tout ce et ceux qu'il aime.

Le film de Jérôme Bonnell, par son scénario qui colle à son époque, sa mise en scène minimaliste et ses acteurs en état de grâce, parvient à emporter l'adhésion en quelques séquences et dialogues, nous rendant Aurélien et Argine irrésistiblement attachants. On souffre avec eux de cette précarité qui est leur lot quotidien, on se montre compréhensif face aux menus larcins d'Aurélien dont on comprend qu'il le fait par amour pour sa soeur, pour éviter que cette précarité ne s'aggrave.

La seconde partie du film bascule vers une tension et un suspens presque insupportables, on se prend à penser que malgré ses actes, ce ne serait que justice qu'Aurélien s'en sorte blanchi. Puis il entre dans un cercle infernal, découvrant que la seule façon pour lui de gérer la violence qui l'habite est de s'abandonner un peu plus à cette violence.

L'homme moral qu'il était, fatigué, cède peu à peu la place à l'homme bestial beaucoup moins rongé par les remords et finalement beaucoup plus confortable puisque libéré des codes sociaux. L'amour fraternel aidant, Argine se retrouve également mêlée aux errements de son frère et, surprenante d'une maturité nouvelle, finit par prendre les choses en mains lorsque son frère, finalement débordé par la culpabilité, s'évanouit.

Il aurait été bienvenu d'éviter au spectateur la scène d'inceste explicite entre Aurélien et Argine, non pas que l'idée est dérangeante, mais ce genre de thème a toujours une force décuplée lorsqu'il n'est que suggéré. Un preuve récente est la relation entre Commode et sa soeur Lucilla dans le film de Ridley Scott Gladiator, même si l'immense talent de Joaquin Phoenix y est pour beaucoup.

L'histoire d'Aurélien et Argine est frappante, elle s'inscrit dans son époque mais on sait que pourtant elle vieillira bien parce-qu'universelle. Le peu d'effets de mise en scène, l'absence d'esbroufe et de poudre aux yeux ancrent cette histoire dans le réel et lui apportent un supplément d'authenticité. Lucas Belvaux, même s'il n'en est qu'au début d'une carrière prometteuse, a déjà une relève assurée, c'est rassurant.
Jambalaya
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le 14 déc. 2012

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