Inspiré d’un fait réel survenu en Pologne, le film s’emploie à nous faire croire que l’habit peut faire le moine à travers l’ascension d’un jeune homme, ancien délinquant, qui s’invente une identité de prêtre au sein d’une paroisse afin de trouver ce pardon que personne ne lui propose.


La Communion est l’histoire de Daniel (Bartosz Bielenia), 20 ans, qui vit une transformation spirituelle dans un centre de détention pour jeunes, fasciné par l’aura et les paroles du prêtre Tomasz (Łukasz Simlat) qui officie dans les lieux. Il veut devenir prêtre mais le père Tomasz lui dit que cela lui est impossible à cause de son casier judiciaire tout en lui expliquant qu’il y a de nombreuses autres voies pour être un homme de Dieu et de bien. Lorsque Daniel se retrouve en liberté provisoire, il est envoyé dans une menuiserie d’une petite ville pour y travailler ; à son arrivée, il revêt son habit de prêtre pour impressionner une jeune femme et se retrouve, sur ce malentendu doublé d’un concours de circonstance, accidentellement en charge de la paroisse locale.


Mais plus qu’une simple histoire de rédemption – individuelle et collective –, Jan Komasa nous offre une intelligente déconstruction des travers d’une société enfermée sur elle-même. Elle est représentée ici par un village en périphérie des grands centres, suffocant sous la chape de plomb d’un secret.


Ce dispositif est presque celui d’un film de genre qui a traversé toutes les époques et tous les cinémas, avec peut-être en tête de file les plus emblématiques westerns et leurs mauvais garçons arrivant en sauveur dans une petite ville, la différence fondamentale résidant bien entendu dans le fait que le cinéma non-hoyllwoodien n’a pas forcément besoin d’un héros qui finit en chevalier blanc et/ou blanchit de tous ses péchés.


Derrière tout cela se cache surtout un film empreint d’une vraie réflexion spirituelle. La question est à la fois simple et fondamentale : La mesure d’une personne est-elle la somme de ce qu’elle a fait, ou est-ce ce qu’elle fait ici et maintenant qui compte plus que tout ? Et pour chercher à y répondre, Komasa ne tente jamais de remettre en question la foi – c’est avant tout un film sur les gens et l’effet qu’ils ont les uns sur les autres. La tromperie au cœur de cette histoire crée une tension constante et pourrait offrir l’occasion d’un humour se transformant rapidement en vulgaire farce. Mais, à l’image de son protagoniste principal, c’est un film au contraire réfléchi et plein de compassion. Jan Komasa adopte une approche délicate pour construire ses personnages et les relations entre eux. Le personnage de Daniel, interprété par un très convaincant Bartosz Bielenia, permet également de critiquer les maux profonds de ces sociétés repliées sur elles-mêmes, comme l’hypocrisie, le dogmatisme, l’ostracisation, les tribunaux populaires, les strates de pouvoirs qui s’entremêlent, se subordonnent, se retrouvent en lutte. Il s’agit, comme le dit le maire (Leszek Lichota) par ailleurs propriétaire de la menuiserie de réinsertion, de mettre « sous contrôle les émotions des gens et d’éviter que d’indésirables émotions ne refassent surface ». Bien sûr, enterrer ses émotions ne sert à rien car elles couvent sous le limon des non-dits comme le magma couve sous la terre du volcan endormi.


Il ne s’agit vraiment pas d’un mélodrame banal. Les conflits narratifs permettent notamment au cinéaste d’explorer les nombreux déguisements que les gens portent, et le rôle que la religion peut jouer dans la vie d’une communauté – en particulier dans un endroit, comme l’ancienne Pologne du rideau de fer, où l’Église avait été associée à la fois à la répression et à la résistance. La communion nous permet également de réévaluer le sens de notions spirituelles telles que le salut, le jugement, la culpabilité, la réparation, les tentations ou le repentir pour ses péchés. Par exemple, dans un moment à la fois amusant et profond, on voit Daniel entendre la confession d’une femme qui a de vrais remords d’avoir battu son fils, et comme pénitence, il lui ordonne seulement « d’emmener son fils faire du vélo ». C’est simple mais significatif et efficace, comme on peut l’imaginer, cela permettra de resserrer les liens entre les membres de la famille. En abordant des thématiques assez peu légères, le film est paradoxalement divertissant, parfois même drôle, avec une palette de couleurs douces, et des dialogues intelligents permettant une réflexion plus profonde.


Une consistance parfaitement relayée par la photographie de Piotr Sobocinski Jr : un jeu de lumières incessant faisant parler autant la pénombre que la lumière, enveloppant chaque scène dans sa propre atmosphère ainsi qu’une utilisation narrative de la caméra avec des articulations de profondeurs de champs et de cadres, de plongées et contreplongées, d’emploi de quasi toutes les échelles de plans toujours en adéquation avec le fil narratif. Cette maîtrise ne rend néanmoins en aucun cas le film lisse comme peuvent l’être certaines œuvres qui aliènent leurs productions à la recherche de perfection. Non, ici les échelles de profondeurs se multiplient également dans la trame du film qui, sous des couverts de fables, raconte quelque chose de notre temps : comment faire l’effort de sortir des dogmes pour aller vers l’humain. La communauté adopte Daniel malgré l’évidence de la mystification car il a cette faculté à parler au cœur des gens qui s’illusionnent, à travers un fatalisme de façade, d’accepter une tragédie mais sont au fond d’eux plein de colère et d’incompréhension pour un dieu qui permet de tels drames. Daniel les libère de ce mirage, les oblige à affronter la réalité et ses conséquences et ramène une parole religieuse céleste absconse à celle terre à terre de la souffrance réelle.


Parfois emprunté par son rythme, La Communion demeure une belle réussite, explorant la facilité avec laquelle les gens sont attirés par les leaders charismatiques, tout en questionnant sur le vrai sens de la rédemption.


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le 15 févr. 2023

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Procol Harum

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