Un western un peu bizarre, relativement à huis-clos comme les opus mielleux de John Ford (Rio Bravo en tête), mais aussi une espèce de drame psychologique espiègle prenant le parti de la liberté, observant le cynisme et la lâcheté avec sérénité. Le titre VO 'The Last Frontier' est donc un meilleur indicateur que celui générique de la VF. Les démonstrations, heureusement douces, au service des oppositions ne sont pas mirobolantes – ce clash sauvagerie/civilisation avec le petit discours questionneur assorti. Elles restent fondées et sérieuses dans ce contexte américain avec les débuts de la Guerre de Sécession et donc la marche vers l'unification (au contraire de la simple aspiration romantique – d'ailleurs le mythe du 'bon sauvage' n'a pas sa place ici et nous sommes donc plus près de Sergio Leone dans quinze ans que de la concurrence contemporaine dans le domaine du western).


Le film est plus riche et étonnant sur les enjeux moraux et les prétentions de façade de cette communauté improvisée. Il accepte les ambiguïtés et reconnaît en elles des compromis, non la manne d'un flou artistique ou de la 'nuance' gratuite. On voit le prix du consentement ou de l'acceptation, la relativité de l'idéal du courage et de la noblesse des questions dites d'honneur, l'importance des instincts égoïstes ou grégaires, les diverses sortes d'avidité et de 'territorialité' chez les quatre principaux personnages (le crasseux, le mauvais et les deux planqués tirant leur légitimité de leurs charmes). C'est là que le regard du marginal apporte une contribution sérieuse et plus globale, car il est lucide sur son compte et attaché à ses 'privilèges' naturels, peut apprécier les dons de la civilisation sans avoir reçu son instruction ni avoir été ajusté par elle. Pourtant aujourd'hui il est attiré par les beautés de l'ordre communautaire (la femme et l'uniforme), prêt à des efforts et sacrifices pour y accéder – or il risque d'y mourir à plusieurs degrés et ne pas trouver d'écho auprès de gens plus équilibrés et insérés donc plus dépendants et hypocrites.


Ces conflits entre devoirs, traditions et désirs, ne relèvent que de choses classiques mais sont difficilement dicibles et admissibles en-dehors de films spécialement sombres ou lourds, ou bien traités de façon moins mature. L'issue est un peu schizophrène et primesautière puisqu'elle mêle à la fois le 'happy end' imposé de l'extérieur et la sur-normalisation de l'exclus, donnant un air de conformisme à la fois sain et ironique (on respecte les formes sociales pour un retour sur investissement) et impropre (on rentre effectivement dans le moule et soudain il n'y a plus d'adversité même intérieure, c'est la réconciliation au pays de Candy amoral mais sans reproches). C'est toujours plus honorable que la complaisance envers l'auto-destruction du rebelle dans Seuls sont les indomptés (lequel a le mérite d'être cohérent en intégralité puisque dès le départ le protagoniste est un suicidé déraciné, avant d'être un inadapté).


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le 6 janv. 2020

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