La belle vie et la condition paternelle!

C'est un premier film (long métrage de Jean Denizot) et disait ma voisine au Forum des Images un "bon petit film", avec un air condescendant. En réalité c'est un très beau film, sur un sujet qui traverse notre quotidien de parents, de pères/mères, d'enfants confrontés à la séparation. Inspiré d'un fait divers (on se souvient de l'affaire Fortin, deux frères "kidnappés" par leur père, avec leur consentement, qui vont vivre en cavale pendant presque onze ans jusqu'à ce que la police les retrouve dans le Pyrénées en 2009).

Le réalisateur a pris la précaution de ne pas se lancer dans le récit de cette aventure dont il il n'a pas voulu investiguer. Avec beaucoup de finesse, de sensibilité, Jean Denizot a raconté la fin de l'histoire, la dernière cavale, c'est à dire le moment où la pression de la marée chaussée est très forte et les deux frères, adolescents presque jeunes majeurs à des moments différents et par d'autres chemins, vont réussir à approcher la mère qu'on devine plus qu'on ne voit !

Non sans difficulté dans l'abandon. Après le départ de l'aîné suite à une bagarre d'adolescent qu'il a en quelque sorte provoqué, le second va continuer a accompagner son père dans l'errance, dans une attitude de parentification active qui ne sera perturbée que par ses premiers émois, sa rencontre avec une jeune fille de la ville, en vacances dans la maison de son père bien installé dans la vie.

De magnifiques séquences en montagne pyrénéenne, où ils vivent dans une cabane du Béarn, descendant dans le village pour vendre leurs produits bio au marché… et des moments de grande sérénité, quoique remplis d'inconnu voire d'angoisse, dans une île au milieu de la Loire. Quelle harmonie avec la nature alors que le quotidien familial est souvent empreint, dans cette phase de leur vie de disharmonie.

La belle vie c'est ce pacte avec la nature, parfois hostile, dure mais qui les protège, les nourrit, les accueille, c'est la liberté et la belle vie. Dans cette liberté il y a quelque chose d’enfermement (les procès engagés par la mère, la fuite, la clandestinité, l'absence de lendemain quant tout cela se terminera).

Les mouvements de la condition paternelle ne sont pas évoqués, le film n'est pas fait pour ça mais pour nous parler de comment un adolescent grandi ainsi, dans l'amour de son père, la complicité avec son grand frère, mais privé de mère, d'amis, de projets où il puisse s'accomplir. Ils savent tout de la nature, pour le reste ils ont tout à découvrir.

Jean Denizot nous donne aussi la possibilité d'observer, sans aucun jugement, la part de vie que le père a su transmettre, nous laissant imaginer, interpréter, comprendre tout le reste dont la volonté du père -qu'on peut nommer d'égoïste- les a privé.

Les deux adolescents, Zacharie Chasseriaud et Jules Pelissier, jouent à merveille leur rôle -très physique- ainsi que la jeune adolescente en vacances, Solène Rigot qu'on a vu récemment dans Lulu femme nue. Le rôle du père a été confié à un grand acteur de théâtre, rare au cinéma, Nicolas Bouchaud, dont l'interprétation m'a semblé très juste, dans ce mixte de conviction et d'engagement pour ses enfants et de démesure dans un improbable devenir qu'il leur impose pour conforter et confirmer son choix personnel.

Un premier film, qui sort dans les salles cette semaine, à soutenir et à conseiller autour de nous. Il nous donne le plaisir d'un beau et original film par son histoire et son interprétation, mais aussi parce qu'il nous donne des clés pour mieux comprendre ce que parfois nous côtoyons.
http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/070414/la-belle-vie-et-la-condition-paternelle