C'est un fait divers. En arrosant ses plantes sur son balcon, l'eau coule sur un ouvrier de la voirie. Entre regards de défi et silence violent d'affrontement, une insulte et la guerre est déclarée. Tout une ville, voire un pays sera secoué par les conséquences de cet insulte, dernier film de Ziad Doueiri, réalisateur libanais.
C'est qu'il ne s'agit pas de n'importe quel lieu ni de n'importe quels protagonistes. Cela se déroule dans un quartier de Beyrouth habité par des Libanais chrétiens et les travaux de voirie sont exécutés par des ouvriers palestiniens qui habitent le camp de réfugiés.


Le film nous raconte l'histoire de Toni, propriétaire d'un petit garage et supporter du parti chrétien. Le tuyau de son balcon est défectueux et illégal, le chef des travaux réfugié palestinien va le voir. Toni ne le supporte pas, Yasser répare le tuyau dans la partie extérieur. Toni le casse à coups de marteau, Yasser l'insulte. C'en est trop pour le nationaliste Toni qui exige des excuses. Il accuse les palestiniens de profiter du Liban, de voler le pays et, faisant référence à Sabra et Chatila (1982) massacre des palestiniens par les milices chrétiennes, lui lance «Sharon aurait dû vous annihiler». Yasser ne peut pas présenter ses excuses.


A partir de là c'est le «Procès n°23», titre original du film et l'occasion pour que les deux camps s'affrontent violemment dans la rue et dans le Tribunal, où les avocats essaient de démontrer, à travers une insulte et des excuses qui ne sont pas venues, d'un côté l'agression par un réfugié Palestinien de l'autre l’humiliation d'un peuple.


C'est un acte courageux du réalisateur, Ziad Doueiri, peu conformiste et dans la ligne de mire des autorités libanaises, d'aborder la réalité du quotidien, l'hostilité visible et déclarée contre les Palestiniens, à travers la banalité d'une insulte qui est ici, l'insulte de l'étranger envers le national et nationaliste...


Les choix cinématographiques sont bien en cohérence avec le propos du film, une caméra alerte, active, sachant aussi s'attarder sur les visages et les regards des protagonistes. Notamment sur Kamel el-Bacha, qui joue Yasser et qui a reçu le prix de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise 2017. La façon dont l'auteur s'engage dans les portraits très ciselés de Toni mais aussi de sa femme et de la jeune avocate de Yasser, souligne bien l'empathie portée par le réalisateur au jeu de ses acteurs.


La mise en scène de Ziad Doueiri accompagne avec pertinence les moments forts de tension. C'est le cas lors des tentatives d'apaisement à l'initiative du patron d'Yasser, qui cherche à maintenir une bonne cohabitation, défendant le juteux marché en accord avec le député du coin et faisant travailler les Palestiniens sans statut. Les séquences du Tribunal sont également travaillées avec justesse et une caméra qui rend l'essentiel de ce conflit. La confrontation des deux avocats correspondant à deux époques qui s'opposent. Un vieux routier du barreau, faisant feu de tout bois pour dénoncer les Palestiniens. Une jeune avocate, outrée par l'humiliation vécue par cette population, défendant la justice pour tourner la page aux conflits qui minent toujours ces deux peuples.


L'insulte comme révélateur


On juge une insulte, et on voit défiler et se mobiliser dans le tribunal même des morceaux de l'histoire de ce pays et de ses habitants. Le montage est à cet égard une des réussites du film, le rendant efficace, sans manichéismes à l'image du verdict du tribunal.


Ce film, sans message officiel, porte tout de même un, celui de la paix. Ou en tout cas la volonté de paix entre deux peuples qui, tel Toni et Yasser ce sont bien des déracinés, dont l'histoire et la souffrance nourrissent ici, comme ailleurs «une guerre». Et dans l'insulte nous percevons aussi le clivage générationnel, les deux avocats, les épouses plus jeunes des deux protagonistes, les jeunes palestiniens et nationalistes chrétiens qui s’affrontent dans la salle du Tribunal.


l'insulte nous dit aussi quelque chose sur nos «passes d'armes» hexagonaux. La différence c'est que là-bas les conséquences sont autrement violentes et destructrices! Mais il nous apprend l'importance de pouvoir regarder l'autre différemment dans sa difficulté et dans son histoire.

ArthurPorto
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le 2 déc. 2017

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ArthurPorto

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