Je recommande à 80% et spoile de façon oblique

Un des meilleurs films où le méchant est une victime entourée de vermines plus rassasiées. Des mystères et compétitions relatifs à la naissance et la filiation, une grande fille intimement et apparemment perdue mais fondamentalement solide et prête à tout, un patriarche bourgeois infect doublé d'un demi-obèse désinhibé, des combats de lesbiennes en prison, des secrets, impostures et jeux de dupes, des appétits égoïstes et de la frustration omniprésentes, une violence perpétuellement différée ou transformée nourrie par le ressentiment lui-même soutenu par l'inaptitude de chacune à prendre le large... le tout servi par une mise en scène et un casting ne craignant ni l'excès (ces split-screen sont probablement grossiers, s'avèrent utiles) ni le ridicule (à force le bluff et l'hypocrisie sont toujours drôles) ou les transitions bizarres (Stéphane hébétée face à une révélation... puis un chien de garde) ; je n'avais pas besoin d'une liste si fournie pour être séduit.


Pourtant à l'ouverture on sent les clichés du film social en embuscade, couplés au polar français commun déjà indiqué par l'affiche stylistiquement cheap et chabrolienne. Très vite on est plongé dans un doute stimulant car on se sent débarqué dans ce tableau ordinaire comme le ferait un cafard écrasé dans la vie mais déterminé à retourner vers la lumière ; comme si l'affreux et ingouvernable de Seul contre tous rassemblait ses esprits (ce qui consiste à liquider les ruminations et tous les produits de la conscience) depuis sa chambre miteuse pour rejoindre le monde avec une composition décente. Le jeu de Calamy est d'abord un peu saoulant (et suspect, mais de maladresse de la part de l'actrice) tant on nous la présente comme une pauvre gourde malmenée et toujours prête à faire des efforts pour se faire pardonner sa gaucherie ; puis rien ne paraît plus juste et spontané que ce 'masque' pour une victime réelle dont la condition (pleine de limites) contre-indique toute sorte d'interaction directe (car elle est en position de faiblesse et car sa déconstruction identitaire s'est imposée avant qu'elle aborde le monde social).


Cette manière de se présenter toujours sinueuse et vulnérable s'accorde avec un tempérament 'inhumain' et des aspirations affectives finalement peu élaborées (c'est une machiavel avec des désirs enfantins), avec peu de tendresse ou de haine envers les gens – elle est un pion dans un monde de pions souvent plus forts mais plus naïfs qu'elle. Or la manipulation est la meilleure arme d'une victime donc celle-ci charme les femmes, se soumet aux supérieurs, pour obtenir ce qu'elle veut – elle s'avilira volontiers tant qu'on ne l'empêche pas de prospérer, ce qui signifie, dans son cas et à ce niveau de croissance, prendre une place stable (en gardant cette petite dignité de façade, qui la rend si manifestement humble). C'est pourquoi dans les premiers instants elle entre en conflit avec la domestique tout en semblant (et en 'étant') neutre voire trivialement bienveillante dans cette relation : elle vient pour la place du parasite ou du vampire en échange du rôle de soutien. Qu'elle occupera le plus candidement et probablement servilement tant qu'elle sera acceptée, logée à tous degrés – il ne s'agit même pas d'amour, encore moins d'affirmation de soi, à peine de sécurité financière, c'est avant tout une recherche de bien-être.


Si on vient pour l'intrigue, on sera probablement diverti comme espéré ; mais si on vient pour des rebondissements concernant la nature des individus, alors on risque de trouver le suspense faible une fois l'essentiel éventé. Cette Origine du mal est une comédie de mœurs – une comédie sombre. Verbalement elle en fait le travail, avec ces dialogues où chacun s'applique à casser l'autre, sèchement ou en douceur ; aussi avec le personnage de la vieille, si ordinaire et élitiste même dans son extravagance. Elle se voudrait épanouie dans la mesquinerie mais n'est qu'une variation dorée de rombière au foyer pleine d'amertume ou de femme lésée, négligée, se donnant des allures de vieille pute insoumise pour effacer le désespoir charnel et moral qui crève les yeux et gêne un peu. Mais le plus drôle reste les pauvres interventions pour tempérer ou faire bonne figure de cette 'Stéphane', ces phrases toutes faites et cette politesse exagérée usantes en première instance, mais aussi savoureuses que pathétiques lorsqu'on réalise que cette tempérance compulsive n'est qu'une façon de paraître saine et inoffensive tout en s'économisant. D'ailleurs sous stress, son pilotage automatique déraille ; la réponse (reptilienne) qu'elle apporte à sa partenaire lors d'une scène finale est proche de celle donnée par la créature de Creep. Le caractère sous cette carapace a un grand pouvoir de fascination : celui d'une petite vipère prolétaire capable de réaliser ce qu'une personne trop pleine de sa dignité ne commettra jamais.


https://zogarok.wordpress.com/2023/05/06/lorigine-du-mal/

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le 5 mai 2023

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Zogarok

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