A tous ceux s’attendant à un décalque réactualisé du film The Dictator de Chaplin, œuvre à la fois rentre-dedans et terriblement âpre après plusieurs visionnages, passez votre chemin. Car ce qui caractérise The Interview n’est pas tant son discours pseudo-libertaire assumé ou son parfum suave moralisateur mais plus sa vacherie et son statut empoté. Mélange non-avoué d’un Dumb et Dumber et d’un énième thriller conspirationniste, The Interview affichait pourtant d’entrée de jeu son discours subversif. Filmant avec une condescendance à peine masquée les dérives de la télé-poubelle, voyant un Eminem à visage de marbre affirmer son homosexualité sous l’œil hilare d’un James Franco shooté à la cortisone, un Rob Lowe dévoilant sa calvitie ou une Niki Minaj dévoilant son vagin, The Interview, quitte à ouvrir à fond les vannes de l’autodérision, préfère se moquer de lui-même et des représentants de la sous-culture de masse, campé par un James Franco, narcissique et grossier suivi d’un Seth Rogen incarnant le visage du journalisme d’aujourd’hui à la fois consterné de la demande du public et ravi de pouvoir les combler ; plutôt que d’égratigner à coup de discours véhéments ou autres répudiation, le régime dictatorial nord-coréen.

Et à bien des égards, ce choix, mûrement réfléchi, que celui de préférer user d’un postulat casse-gueule en le survolant, en lieu et place de le décortiquer, est à la fois le meilleur aspect et le plus gros défaut du film. Surfant alors sur une vague d’ignorance bienvenue, ressassant à toute berzingue la myriade de clichés et de légende entourant le leader suprême, tel que le voir parler aux dauphins, ou ne jamais aller aux toilettes (si si !), tout en privilégiant des faits réels sur sa personne, tel que son amour pour le basket, le film étonne pour la relative aisance qu’il a se travestir et à emprunter la tripotée de genre qu’il brasse. Tantôt comédie grasse, tantôt thriller d’espionnage, tantôt comédie horrifique tantôt buddy-movie déjanté, le film se plait à errer à travers ces genres quitte à ne jamais afficher son choix et à rendre clairement imprévisible le déroulement de son scénario.

Un scénario aux piques nombreuses et variées et aux ramifications hilarantes qui illustre le talent du duo Rogen/Goldberg pour emballer une comédie géopolitique grinçante en une apologie de la connerie US, chargeant souvent sans raison Michael Phelps, Miley Cyrus, McGyver, la CIA, les femmes, les gay, mais illustrant également la vacuité du propos, somme toute relativement sage, compte tenu de l’esclandre géopolitique qu’il a suscité, et qui laisse un parfum doux amer dans la bouche, sans doute hérité de la déception de voir ce film aux airs de parangons de la liberté d’expression, ne pas avoir tout osé, et au final n’avoir qu’effleuré le potentiel hautement dangereux de son sujet. Inutile de dire alors le regret (à peine) ressenti tant le rire suscité suffit à effacer la quelconque déception, de voir ces piliers du rire que sont James Franco et Seth Rogen s’être imposé des limites.

Par Antoine
Neocritics
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le 1 févr. 2015

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