"L'île nue" est un film de Kaneto Shindo sorti en 1960.
Par son mutisme et son rythme, il peut désarçonner, comme il peut totalement charmer.
L'on suit pendant 90 minutes une famille japonaise paysanne vivant sur une petite île aux chemins tortueux. Les protagonistes passent leurs journées à cultiver leur parcelle de terre, difficilement, fastidieusement.


La beauté des cadres et ce qui les composent nous emporte dans un drame sans parole à la musique hypnotique, formant quasiment une boucle musicale.


La mise en scène indique, mieux que pourrait le faire n'importe quelle parole, ce que représente le dur labeur, la vie de cette famille paysanne confrontée à la rareté de l'eau.


Une idée de cycle se dégage du métrage. Les paysans transportent leurs sceaux d'eau et irriguent leur culture. Cela sans cesse, sans pauses et sans vacances ou jours de congés. La nature et la culture n'attendent pas.


Le rôle de la musique, très répétitive, renforce cette idée de cycle. La musique, le thème ou la boucle les accompagne dans leur labeur par le biais des mêmes motifs musicaux.
A travers les saisons, celle-ci les accompagne aussi; été, automne; et arrivé en hiver, celle-ci s'arrête, et une autre mélodie, dans un registre différend, prend le relais, soulignant la dureté de cette saison quant au rendement des récoltes.
Puis, le thème musical revient au Printemps; les protagonistes ont déjà repris leur travail.


Le film nous assène de sa poésie visuelle représentée par une mise en scène forte et symbolique, et une photographie remarquable.


L'absence de parole contraint bien sûr le réalisateur à faire passer les moindres détails et sentiments par la caméra. Et cela est magnifiquement réussit; l'ambiance, l'atmosphère insulaire est totalement unique.
Et lorsque qu'un drame surgit, la réalisation, sobre et efficace, ne sombre pas dans le pathos et déploie avec une justesse absolue sa pureté.
Lorsque l'un des deux fils meurt, la mort et l'enterrement sont captés avec une certaine pudeur, voire même distance, ne tombant donc pas dans un pathos éculé (qui peut cependant marcher dans de nombreux grands films), qui pourrait être, au vu de la gravité de la scène, très facilement embrassé.
Pourtant, la distance qui peut être créée, n'en est rien face à la beauté plastique, ou le jeu des acteurs, assez minimaliste et tout en retenu qui, finalement, nous emporte et nous touche bien plus que ce que l'on pourrait croire.


Malgré la présence importante de la musique, répétitive, renforçant l'éternel cycle de la vie, de la mort et du travail, le silence n'est pas oublié pour autant.
Comme l'on pourrait en douter le film prend son temps et instaure son ambiance par l'image et le son, et ce qui fait une des forces de ce son-là est clairement le silence. Le silence du décor et de la nature, très discrète, mais aussi le silence dans l'absence de parole des personnages, qui donnent cette impression de résignation.
Par là, le cycle de leur vie, leur est imposé et ils l'embrassent au gré de leur volonté. Ils habitent sur cette île, où la vie est dure et épuisante, et ils ne peuvent rien faire contre cela, ils sont contraints à rester là.
Et même si l'acte désespéré de la mère en fin de film, après la perte de son enfant, peut représenter un acte de révolte contre le fil déjà tissé du destin, celle-ci revient vite à la réalité, que son mari, lui, paraît accepter avec une résignation encore plus forte.


Puis finalement, ils retournent à leur quotidien, continuant de parcourir l'éternel chemin de leur dur labeur.

lewbbonlaiww
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le 7 mars 2021

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