Juillet 2009 :

A bien des égards, cet "horloger de St Paul" m'a rappellé "La semaine de vacances". Pas uniquement parce que les deux films sont situés à Lyon. Ce sont aussi deux portraits, deux parcours singuliers et deux comédiens formidables. Je sais, maintenant que j'ai vu cet "horloger", pourquoi Tavernier a inséré en clin d'oeil son horloger dans une petite scène de "La semaine". Je saisis aussi beaucoup mieux les liens qui unissent Tavernier avec un cinéaste comme Michael Powell : le souci de raconter à travers un récit particulier l'histoire de personnages vrais, très humains, avec leurs failles, leurs peurs, leurs instincts de vie.

Dans "La semaine", Tavernier filme bien son Lyon natal mais dans "L'horloger" il le fait davantage, comme s'il voulait rendre hommage à la beauté des petites ruelles, la remercier plus que d'y encadrer ses personnages. Il est certain que cette histoire d'un père qui découvre que son fils est un assassin aurait tout aussi pu se passer ailleurs, évidemment. Cinéma humaniste rime avec cinéma universel. c'est ce qui en fait une belle histoire, elle touche tout le monde. On n'a même pas besoin d'être père pour ressentir de profondes émotions face au désarroi de Noiret. Le comédien trouve là un de ses meilleurs rôles, à n'en pas douter. Avec pudeur et simplicité, il incarne un homme qui essaie de comprendre l'acte de son fils, pour mieux accepter cet avenir incarcéré, pour enfin communiquer avec lui. Cet évènement tragique et définitif bouleverse le personnage et déclenche une prise de conscience douloureuse que la routine et le sentiment de fatalité avaient jusque là empêché. Tavernier dans un long plan séquence au début du film nous fait toucher cet ordinaire, ce quotidien tranquille, on le suit de chez lui jusqu'à son atelier. On avait découvert d'abord un personnage bien installé dans son quartier comme ses amitiés, dans ses habitudes de vieux célibataire, presque de petit notable ; malgré tout cela un bon vivant, ripaillant volontiers et gaiment avec les copains, refaisant le monde dans un bouchon local. Dans la capitale gastronomque il ne pouvait manquer d'afficher cet état d'estomac. Dans la ville de Guignol, il lui fallait également incarner une sorte de méfiance (remplacez le m par un d si ça vous chante) à l'égard du képi, de l'ordre social et politique, mi-gauchiste, mi-anar. Sans être convaincu, sans être renégat, ni révolutionnaire, le personnage est toutefois en mesure de comprendre son fils, ses principes. D'ailleurs, malgré la pression des journalistes, de l'avocat et du commissaire, le père va chercher à soutenir coûte que coûte son fils pour enfin entrer en relation avec lui. Les derniers plans sur Noiret à la sortie de la prison alors qu'il vient de visiter son fils sont éloquents : il sourit. Peu importe le chemin, le bonheur est dans le lien, la main tendue, l'amour. Si avec ça on ne parle pas de cinéma humaniste, quand en parlerons-nous, hum?

Pour raconter cette histoire simple facilement émouvante, Tavernier décore son récit de personnages secondaires faits de chair et de cervelle (tout ça pour dire qu'ils sont vrais). D'Andrée Tainsy en vieille nounou effarée elle aussi par la drame, à Jacques Denis en communiste emmerdé par la récupération idéologique et qui ne s'endoctrine que pour mieux embrasser et soutenir son ami (très belle scène sur le pont) en passant par cet énigmatique et ambigu Rochefort en mi-homme, mi-flic qui cherche en vain à se lier à un Noiret qu'il ne parvient pas à comprendre.

Un très joli film qui ira en grandissant au fur et à mesure que j'en ferai autant et que je le reverrai... Appellons ça une intuition.
Alligator
8
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le 16 mars 2013

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Alligator

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