En 1880, deux sergents de l’armée britannique ont l’ambition folle de devenir les souverains d’une province afghane du Kafiristan.



Pour chasser les chagrins qu'on a, il n’est que la Maçonnerie



En plus d’être d’authentiques soldats de l’armée britannique, Daniel Dravot (Sean Connery) et Peachy Carnehan (Michael Caine) sont secrètement des francs-maçons. A cet égard, il est intéressant de constater que traiter le sujet de la franc-maçonnerie fut presque tabou au cinéma. En effet, on ne dispose à cette époque que de très peu de films qui mettent en scène le célèbre Ordre. Seul « L'Ange exterminateur » de Luis Buñuel parvient véritablement et librement à s’approprier le thème quelques années auparavant.


Petite parenthèse, durant la seconde Guerre Mondiale et précisément en août 1940, la répression s'abat sur la franc-maçonnerie, frappant les structures de l'ordre, ses biens, ses adhérents, et jusqu'à son image avec la diffusion du film Forces occultes en 1943. La propagande va plus loin encore en assimilant le « complot juif » à la Franc-maçonnerie, une théorie qui consiste à croire que ces deux groupes contrôlent secrètement le monde et veulent le dominer totalement. On reconnaît bien là une des graves conséquences de Vichy sur le cinéma, car en France le Maréchal Pétain pensait à raison qu’il était (et est encore aujourd’hui) une arme idéologique puissante malheureusement propice à la propagande et à la désinformation.



Chez eux la paisible Amitié, forme une colonne du temple



Quoi qu’il en soit, les deux camarades scellent leur destin en prenant un journaliste comme témoin de leur futur périple. Chaque personne convient d’un contrat qui stipule les limites de l’entente et du voyage incertain à venir. L’objectif étant celui d’atteindre la terre promise et de la coloniser. Une Inde fantasmée, un vaste territoire onirique où sa culture vous imprègne de tous ses bienfaits. Des chants enivrants, des odeurs délicieuses, et des femmes parmi les plus séduisantes du monde. Un havre de paix qui terrasse l’homme et l’emporte vers des douceurs qu’il ne connaîtra plus jamais ailleurs.


Quant aux deux protagonistes, leur relation va bien au-delà de celle que l’on rencontre auprès des soldats. Daniel Dravot et Peachy Carnehan sont en réalité de véritables frères, non liés par le sang mais par l’amitié. Un binôme si proche que l’on peut aisément penser que chacun incarne la moitié d’une personne entière, comme si l’un venait compléter un vide chez la personnalité de l’autre. Daniel Dravot par exemple manque clairement de bon sens et est souvent sujet à une déraison presque insouciante. Pour cela, il peut compter sur la droiture et les conseils avisés de son ami Peachy pour le maintenir sur le bon chemin. Cette complémentarité se ressent jusque dans les dialogues imprégnés d’une camaraderie aussi solidaire que drôle. Jamais avare d’humour, les deux amis blaguent régulièrement pour notre plus grand plaisir. A mon sens, il s’agit peut-être d’un duo qui est injustement resté dans l’ombre des binômes les plus connus du cinéma. La fraternité de Daniel Dravot et de Peachy Carnehan n’a en effet pas à rougir de honte face à Martin et Roger, Vega et Jules Winnfield, Antoine Maréchal et Léopold Saroyan, face à Sherlock Holmes et Watson.



A soulager les indigents, ils consacrent tous leurs moments



Cette quête entreprise par les deux amis est une quête du divin. La réalisateur John Huston la présente de cette manière autant du point de vue narratif que dans la charge symbolique de nombreuses actions. Dès le voyage pour la terre promise, le personnage de Micheal Caine s’efface peu à peu pour laisser toute la place à celui de Sean Connery. Sur ces territoires primitifs et hostiles, Daniel Dravot marche d’un pas fier et assuré en parfait conquérant tel Alexandre le Grand avant lui. Davantage qu’un Roi des temps jadis, il s’affirme aussi en divinité en survivant à un tir de flèche mortel lors d’une bataille. Stupéfait par ce miracle, l’arme qui était censée le tuer devint le symbole de toute sa puissance, objet qu’il arbore d’ailleurs sans retenu face aux peuples qui le vénèrent à présent. Mais même s’il se prête volontiers à jouer les Dieux, Daniel n’est qu’un humble homme qui vient contenter ses désirs d’homme. Son rôle est surtout d’affirmer la suprématie de l’empire britannique sur un nouveau territoire conquis.


Par son usurpation au trône, Daniel Dravot agit toutefois en souverain. Tel un véritable Roi, il écoute les doléances du peuple et règle les différents avec sagesse. Les primitifs goutent enfin à la vraie justice face à un gouvernant miséricordieux et instruit. On peut d’ailleurs aisément se demander si ce n’est pas avant tout la civilité, l’éducation, et le sens du devoir qui permettent de bien gouverner plutôt qu’une quelconque obsession pour le sang royal ou le droit divin. Comme bien des dirigeants ont accédé à un trône par le privilège de la naissance sans en avoir l’étoffe. Cependant, l’orgueil de l’Homme n’est jamais très loin et dépasse avec facilité toutes les bonnes intentions. Si la richesse d’un trésor ne parvient pas à faire déchoir de son statut Daniel Dravot, la tentation des plaisirs de la chair s’en chargent facilement. L’humanité enfouie au plus profond du nouvel être divin resurgit et éclate face à une peuplade trop pieuse pour le tolérer.



Conclusion



John Huston attribut à son film de nombreuses facettes. Beaucoup affirmeront que « l’homme qui voulut être roi » est une critique cinglante envers le colonialisme et la suprématie étendue de certains Empires. On ne me tiendra j’espère aucune rancœur de d’abord voir ce film comme une aventure palpitante qui se consacre à l’amitié, mais aussi à l’accomplissement d’un rêve fou : l’ascension d’un homme au titre de Dieu.



Nous allons vous enseigner l'art de la guerre,
le métier le plus noble qui soit.
À la fin de votre entraînement,
vous serez capable de massacrer vos ennemis comme des êtres civilisés !


JasonMoraw
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le 22 mars 2021

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Death Watch

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