Ce dvd Criterion est de belle facture, mais je n'ai pas pu m’empêcher de trouver tout de même curieux que cet éditeur se soit penché sur ce film, alors que tant de films visuellement plus importants attendent des restaurations (ne serait-ce que des éditions) plus urgentes. La photographie de Toni Kuhn n'est pas mauvaise, loin s'en faut. Mais disons qu'elle ne se distingue pas vraiment non plus. Je dirais même qu'elle a parfois un aspect VHSien que peut-être un manque de moyen laisse deviner. Attention, certaines séquences sombres montrent un savoir-faire, une habileté indéniables (dans le tunnel, le soir, à la toute fin), ce qui prouve que le chef-opérateur a de la ressource. M'enfin, il faut avouer que tout cela n'a pas grande importance car l'attrait du film ne se situe évidemment pas sur la forme mais sur ce petit conte moral tout noir.

A la toute fin, j'ai pensé à ces petits sketchs qui étaient présentés par Claude Chabrol pour la télé à la fin des années 80, "Sueurs froides", des petits courts très noirs, à la manière de ceux qu'avaient produit Hitchcock pour la télé également. J'insiste sur ce terme de "moral" Difficile pour moi de parler de cet aspect précis du film sans risquer de spoiler, or, il est essentiel, central de ne pas révéler le final. Tout est là! Qu'est-ce qui est arrivé à la jeune femme disparue? Est-elle encore en vie? Que veut faire le kidnappeur du petit ami, de celui qui veut à tout prix savoir, tout comme le spectateur qui partage cette obsession? Finalement cela se résume bien au titre français (pour une fois) : "L'homme qui voulait savoir", à une idée entêtante, au point où tout dépassement de cette idée apparaisse impossible. La résolution du problème passe avant tout, une obsession donc. Mais le scénario ne se limite pas à celle de cet homme, il laisse part à celle du kidnappeur. Les obsessions de ces deux hommes s'affrontent dans un jeu que le spectateur ne sait pas traduire avec certitude. S'agit-il d'un jeu du chat et de la souris? Si oui, nous en devinons l'issue, mais si non? Comment savoir? C'est en fin de compte la question qui est posée, celle de vivre avec l'incertitude, sans la connaissance confortable de la vérité. Et si tout ça n'est pas une question "morale", qu'est-ce que c'est? Existentielle? Carrément?

Le film prend son temps. Il n'est pas trop long. Il prend sûrement le temps qu'il faut pour faire ressentir l'attente qui accompagne l'obsession, l'espérance d'un moment clé où tous les éléments prennent sens, le ton juste aussi, celui des sentiments, des interrogations. Sur ce point, le film est très bien bâti. Le montage est également fort correct. Il y avait de quoi se perdre, dans des circonvolutions ou surtout dans cette longue attente. On pouvait craindre de longs plans fixes. Il n'en est rien : le découpage propose de la variété, reste vivant de bout en bout. Pas d'ennui à déplorer pour le spectateur. On demeure attentif, on veut savoir. Cette foutue absence de certitude nous gagne, traduisant la belle efficacité du scénario et de la mise en scène.

D'autre part, George Sluizer s'appuie sur le très bon jeu des comédiens. Bernard-Pierre Donnadieu est sans surprise l'acteur que l'on sait. Toujours aussi bon, il dresse le portrait d'un homme froid, calculateur, mais dont les imperfections suggèrent les parts d'ombre, effrayantes, dont celles de l'enfant maladroit, presque comiques. Gene Bervoets est un comédien que je ne connaissais pas du tout. J'ai longtemps été perturbé par son physique. Son visage est pour moi l'exacte copie de celui de Dominique West (Mc Nutty dans The wire). Mais peu à peu, sa composition, délicate et sûre a su m'imposer une réelle attention sur son personnage.

Un bon petit film, une très bonne idée et une maitrise du récit qui laisse une bonne impression.
Alligator
7
Écrit par

Créée

le 7 juin 2013

Critique lue 1K fois

15 j'aime

3 commentaires

Alligator

Écrit par

Critique lue 1K fois

15
3

D'autres avis sur L'Homme qui voulait savoir

L'Homme qui voulait savoir
Sergent_Pepper
7

La piste des néants

3ème Festival Sens Critique, 12/16 L’homme qui voulait savoir est un sympathique petit thriller hollandais qui fonctionne essentiellement sur le principe de la fausse piste. Averti par une ambiance...

le 27 juil. 2014

25 j'aime

3

L'Homme qui voulait savoir
Alligator
7

Le public qui voulait savoir

Ce dvd Criterion est de belle facture, mais je n'ai pas pu m’empêcher de trouver tout de même curieux que cet éditeur se soit penché sur ce film, alors que tant de films visuellement plus importants...

le 7 juin 2013

15 j'aime

3

L'Homme qui voulait savoir
oso
7

Pied de nez au destin

Intrigante descente dans les méandres d'un esprit humain pour le moins singulier. L'homme qui voulait savoir est intéressant par sa façon de ne jamais poser un regard critique sur les hommes qu'il...

Par

le 29 avr. 2014

12 j'aime

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime