Durant un spectacle, le promoteur Jerry Manning décide d’éblouir l’entrée en scène de sa danseuse en l’accompagnant d’une véritable panthère noire. Le vacarme de la pièce provoque la fuite du félin dans les rues, tandis que des meurtres de jeunes femmes se multiplient le soir peu de temps après cet événement.



Chaton perdu



Le présent métrage démarre les hostilités avec une fausse-bonne idée de la part du promoteur d’une soirée. Désirant toujours plus de sensations fortes afin de marquer les esprits, Jerry Manning ordonne à sa danseuse de faire son show autour des tables de la salle en compagnie d’une véritable panthère noire. Apeurée par la situation, elle exécute la tâche et commence à danser avec ses castagnettes, le regard toujours fixe sur le félin. Le chahut de la pièce suffit à effrayer la panthère qui fuit en direction des rues du Nouveau Mexique. A partir de cet instant, des meurtres sanglants de femmes se multiplient alors que les soupçons se portent légitimement sur l’animal en fuite.


L’ambiguïté du film est le doute qui plane durant la narration concernant l’auteur des meurtres. S’agit-il de la panthère récemment échappée ? S’agit-il d’un tueur qui dissimule ses crimes à travers cet événement ? Ou s’agit-il d’autre chose de plus surnaturelle ? La mécanique de l’enquête ne cesse de tourner autour de ces trois questions dans le but de nourrir les doutes du spectateur. Alors que nous nous posons ces questions en même temps que les héros de l’histoire, les victimes continuent de tomber, toujours avec les mêmes attaques caractéristiques. Ces éléments amènent à une réflexion qui s’accroît davantage surtout face à la pauvreté des indices qui circulent. C’est notamment le cas de l’apparition d’une affirmation simple qui stipule que l’auteur des meurtres doit obligatoirement posséder des griffes et des poils de léopard. A mon sens, Jacques Tourneur parvient facilement à pérenniser le mystère durant une petite partie de l’intrigue en ne répondant jamais aux trois questions évoquées ci-dessus. Seule un moment particulier, qui fera à jamais s’envoler le doute et la confusion, rompe définitivement le public par rapport au récit en lui fournissant une réponse permettant à elle seule d’identifier l’auteur des crimes. Un élément assez regrettable qui débarque très tôt dans l’intrigue et sans doute la principale cause d’une mauvaise réception à l’égard du film.



La peur par la suggestion



A l’instar d’autres œuvres de Tourneur, The Leopard Man représente la fascination du réalisateur pour les cultures étrangères. Après le traitement d’une suspicion slave (Cat People) et celle de l’univers vaudou (I Walked with a Zombie), le présent métrage aborde le thème de la culture indienne face à l’occident. On assiste à énormément de scènes qui dépeignent l’incompréhension d’une culture exotique inconnue, souvent victime ensuite d’une volonté de la détruire ou de s’en moquer. Dès les premiers instants c’est le cas de l’éleveur de la panthère qui recueille toutes les interrogations dangereuses émises par la disparation de l’animal.


Aborder ce genre de thème afin de rendre un aspect culturel presque surnaturel permet d’élaborer quelques séquences assez mémorables. Certaines ont l’ambition de ne pas montrer directement l’horreur, mais de lui donner une forme totalement suggestive. Une scène à l’image de cette intention est celle où l’on assiste au processus de mise à mort d’une victime, commençant au début quand la peur est installée, jusqu’à l’angoisse insoutenable, et finalement la mort. Dans cette scène, la caméra suit la future victime quittant son domicile le soir afin d’aller faire une course. Rapidement, Tourneur met en place une ambiance sonore qui plonge obligatoirement la femme dans l’inquiétude au point qu’elle guette dans le noir le moindre élément suspect. La marche de la victime est d’abord lente, mais l’angoisse la pousse à presser le pas. A la porte de chez elle la femme tambourine dans l’espoir qu’on lui ouvre, hurlant à pleine voix pour que quelqu’un dans le voisinage puisse l’entendre. La scène se termine par une mort hors-champ accompagnée d’une rivière de sang qui coule sur la porte de son domicile.


On constate avec cette scène un certain génie de la mise en scène. Tourneur n’a pas besoin de montrer l’action ni même le crime, mais de suggérer la menace à travers un habile mélange de bruitage et l’imagination du spectateur. Il s’agit d’un langage cinématographique qui a fait plus d’une fois la preuve de sa capacité à dévoiler une peur bien mieux ressentie que si l’on montrait idiotement le monstre ou le tueur délibérément. La suggestion de la menace étant une arme sans aucun doute bien plus puissante que la démonstration directe. En dehors de Tourneur, d’autres cinéastes utilisent le même procédé pour un résultat équivalent. Parfois pour l’intégralité du métrage, parfois afin de faire monter crescendo l’angoisse lors de quelques séquences avant de concrétiser la menace. C’est le cas de Steven Spielberg avec « les Dents de la Mer » qui préfère le plus souvent suggérer la présence du requin, rodant silencieusement dans les eaux troubles, afin d’harmoniser le doute et l’angoisse au service d’un sentiment de peur décuplé. Le simple fait d’observer l’eau qui dort sans être capable de discerner ce qu’il se cache en dessous en devient angoissant. Vingt années après The Leopard Man, le réalisateur Robert Wise avec « La maison du diable » utilise également les mêmes rouages que Tourneur, cette fois-ci plus longuement, et toujours dans le même état d’esprit de rendre la peur suggestive. La preuve s’il en fallait une, que Jacques Tourneur a réellement fait de son « trip » un style cinématographique reconnue.



Conclusion



Dire que The Leopard-Man est un film mal-aimé serait minimiser la situation. Le fait est cependant que le métrage mérite une partie des mauvais retours, la faute à son défaut en cours d’intrigue de donner l’indice de trop au sujet de l’auteur des crimes. La conséquence est de tuer le mystère pourtant admirablement nourri avant ce faux-pas malheureux.


En revanche, Jacques Tourneur s’avère être un auteur à part entière dans sa manière de concevoir la peur. Loin de la méthode de ses concurrents qui dévoilent la peur de manière directe, Tourneur préfère la suggérer avec des éléments simples comme le bruit qui provoque l’inquiétude ou une utilisation utile du noir dont nous avons tous un jour eu peur. L’imagination du spectateur faisant le reste, pour que l’angoisse soit décuplée et mieux ressentie.



Les chats sont drôles Monsieur.
Ils ne veulent pas vous blesser, mais si vous leur faites peur…
Ils deviennent fous.


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le 5 oct. 2020

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Death Watch

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