Pour son premier western qu'il réalise, Eastwood propose une vision radicalement sombre et funeste du genre. Reprenant les codes du western spaghetti et de Leone dès la première scène : un cavalier mutique et magnétique sortant de nul part qui abat les trois premiers marauds de la ville qui le provoquent un peu trop dans un village où tous les habitants sont crasseux, vils et avec les sales gueules qu'on retrouve chez Leone.
Mais là où Léone était baroque et grandiloquent, Eastwood est froid et minimaliste, là où Léone mettait de l'humour et des personnages haut en couleur, Eastwood met en scène un village caricatural où tous les personnages sont mauvais. Rien n'est à sauver. L'homme sans nom de la trilogie du dollar parvenait toujours, malgré son cynisme et son individualisme, à prendre pour pitié une famille, un enfant, un jeune soldat... Ici, il n'en est plus question.
Si on ajoute à cela les influences libertaires, anar et l’ambiguïté propre à Don Siegel et qui ont aussi influencé Eastwood alors on obtient ce film hybride, ce western gothique, fantastique et pessimiste.
Ici, le cavalier sans nom sèmera terreur et vengeance en ridiculisant tous les habitants du village qui s’avéreront être tous mesquins et lâches. La scène du viol du début détruit complètement le personnage de Leone pour accentuer sa cruauté. Si effectivement cette scène peut choquer, il est difficile de comprendre qu'on puisse taxer ce film de misogyne.
Ce film n'est pas misogyne, ce film est misanthrope, la nuance est importante. L'homme sans nom laisse derrière lui l'apocalypse et des visages médusés. Ce n'est pas seulement les femmes qui sont humiliées et violées, mais les hommes qui ont été mis devant leur lâcheté, la religion qui est discréditée et qui n'est là que pour la bonne conscience, la loi et l'autorité du shérif et du maire sont également moqués par le personnage du nain. Il n'y a plus de gentils victimes faibles, la femme violée qu'on aurait dû prendre en pitié apparaît comme insupportable et manipulatrice. Eastwood s'amuse, non sans provocation, à détourner toutes les attentes du spectateur.
A la fin du film, aucun personnage n'est grandi, personne n'a gagné.Les villageois ont été confrontés à leur médiocrité, le village lui-même n'est devenu qu'une représentation de l'Enfer et a été détruit, les bandits sortant de prison ne sont finalement pas les pires, et le cavalier repart dans le néant dans cette merveilleuse séquence marquante où en partant à l'horizon, il disparaît dans le mirage causé par la chaleur infernale avec ce thème effrayant qu'on croirait sorti d'un film fantastique. Le combat final contre les trois prisonniers reprend d'ailleurs les codes du film d'horreur, Eastwood apparaît comme un démon pouvant frapper à tout instant à travers les flammes.
La morale du film n'est absolument pas "Ils l'ont bien cherché" pour les habitants ou les bandits. Et ce film n'est pas non plus immoral puisque c'est toute la société dépeinte dans le métrage qui l'est, si bien que les points de repères sont brouillés, d'où peut-être le sentiment d'abandon de certains spectateurs qui veulent un anti-héros mais pas trop non plus.
L'Homme des hautes plaines est en réalité amoral, par-delà le bien et le mal. L’ambiguïté de la fin laissant présager un fantôme vengeur ou un démon le confirme. La morale des hommes ne concerne plus notre ange exterminateur qui n'était là que pour se soulager en punissant la société.