Comme pour Fermer les yeux, ce film de Victor Erice prend son temps. On ne voit toujours pas où le réalisateur veut en venir au bout de 40 minutes de film, ce que je trouve un peu long. Par contre, une fois qu'on comprend, le film prend une autre dimension.


Dans l'Esprit de la ruche, Victor Erice évoque ce moment particulier et décisif de l'enfance où on se confronte à la perspective de la mort. Et là où il frappe le plus fort, c'est qu'il n'élude pas les aspects les plus complexes : l'attirance que l'on peut avoir pour la mort (la scène de la gamine qui reste sur les rails du train jusqu'à ce que sa soeur hurle son nom), pour la souffrance des autres (quand l'une des fillettes tente d'étouffer son chat puis se badigeonne les lèvres de sang, avant de jouer un horrible et mortifère canular à sa soeur) ou pour les milles formes cauchemardesques de l'obscurité et de l'inconnu. Ainsi Ana va-t-elle retourner plusieurs fois dans cette petite maison abandonnée au milieu d'un champs, comme piquée par l'ivresse du danger et de l'imagination. Jusqu'au jour où elle rencontrera un véritable Frankenstein, un déserteur, lointain et inconscient écho de la guerre qui fait rage dans un autre monde. Quelle merveilleuse manière d'évoquer l'irruption de la guerre et de son horreur dans le quotidien des enfants. Ou quand la brutalité de la réalité dépasse de très loin l'horreur des rêveries enfantines.


Comme dans Fermer les yeux, la clé de la mise en scène se situe en partie dans les œuvres artistiques filmées, qu'il s'agisse du film projeté au début - qui suscite en premier les questionnements des enfants - ou, plus discrètement, de ces immenses tableaux représentant des religieux tourmentés par leur pensée - comme le sont les enfants - ; une tourmente symbolisée par la tête de mort à leurs pieds. C'était aussi un film et une sculpture dans Fermer les yeux, où l'on parlait d'un autre choc existentiel et d'un autre âge de la vie. Moins aride, l'Esprit de la ruche s'avère être un fabuleux film sur l'enfance, la foi, les croyances et le fourmillement de la vie en général, comme le suggère la métaphore de la ruche et des abeilles tout au long de l'oeuvre. Dommage qu'il soit si difficile d'accès dans son premier tiers.

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le 11 oct. 2023

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