Fin des années 60, Maurice Pialat, ayant laissé passer la vague, décide enfin de se lancer derrière la grande caméra avec son premier film L’Enfance nue. L’histoire d’un enfant confié à l'assistance publique et ricochant d’une famille d’accueil à l’autre.


« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle », voilà la sensation, tirée d’un vers célèbre de Baudelaire, qui peut nous parcourir en regardant L’Enfance nue. Autour du sujet des enfants esseulés par leurs familles dans une région minière du Nord se meut une caméra distante et froide, dans une visée naturaliste évidente qui ne cherche pas temps à mettre à nue les personnages dans leurs états d’âme/émotions que dans le compte-rendu de leur situation sociale et la précarité de celle-ci.


On verra la souffrance et la douleur de l’extérieur des corps sans en constater directement les raisons profondes ni même en se voyant offrir une trame narrative un tant soit peu salvatrice pour le jeune François (sauf à quitter le film sur l'espoir qu'il conjure enfin la fatalité qui l'entoure, le film peut en effet le laisser penser). Cela est d’autant plus frappant qu’il est question d’enfants en fait. Et si Pialat a cherché à accomplir quelque chose ici, c’est certainement un peu de cet ordre de l’apposition d’une barrière entre nous et le personnage principal, nous imposer ainsi de rester dehors quand à l’intérieur on devine des cris que l'enfant lui-même ne semble pas encore capable de saisir et d'extérioriser.


Aussi, que ce soit une intention recherchée ou une résultante involontaire des images qu’il aura capté, le microcosme qui accueillera cet enfant se parera d’une laideur pudique mais palpable. Une laideur pas forcément étrangère au spectateur et en ce sens qui pourra nourrir une certaine tendresse à l’égard de ces personnages qui expriment la leur avec une sophistication un peu abrupte. Et si on voudra facilement prêter au film la pleine réussite d'une reconstitution quasi-documentaire de ce qui semble être la vérité d’une certaine époque, on pourra, à l’inverse, saluer la réussite de Pialat à effacer l’élaboration fictionnelle qui sous-tend son film.


En fin de compte, et pour reprendre ses mots, Pialat « ratera le coche de la Nouvelle Vague », mais peu importe car l’essentiel reste in fine d’éclore un jour ou l'autre. Une éclosion toute en retenue dans le film qui se matérialisera avec la tendre lettre envoyée par François à cette famille qu’il avait fini par voir comme un peu la sienne le temps d'un instant. Une lettre lue en off de sa propre voix, et pour nous l'occasion, enfin, d'être rassurés sur l'existence d'une telle voix intérieure.

-Thomas-
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le 23 août 2021

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Vagabond

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