J'ai eu le temps de penser à beaucoup de choses, pendant que sur l'écran les corps languides allaient s'alanguissant. Ce n'est pas forcément bon signe. C'est aussi que Bonello me paraît être un de nos réalisateurs les plus cérébraux (j'essaie de trouver un terme neutre, pas de procès d'intention derrière) : tout chez lui est filtré par l'intellect, les concepts, l'abstraction. Les choses ne se donnent pas pour des faits bruts, elles signifient.

Ici, c'est vrai, il y a un peu plus de lâcher-prise que d'habitude, mais j'ai trouvé Bertrand très empêtré avec ces corps qui s'ennuient et attendent qu'un peu de sens apparaisse (la dernière demi-heure par contre en est remplie jusqu'à la gueule, et soudain le film dérape dans un salmigondis qui m'a semblé particulièrement indigeste et superfétatoire). On leur fait prendre la pose, on les éclaire bellement, mais ça reste de la triste chair, hélas.

"Les hommes ont des secrets mais pas de mystère", est-il par deux fois dit au cours du récit. Et moi de penser, au sein de mon désintérêt, qu'on ne devrait jamais filmer pour mieux savoir, jamais capter et retransmettre pour mieux comprendre. Mieux vaudrait faire des films sur le mystère avec l'humilité de le laisser, à l'arrivée, entier, plutôt que de sonder froidement ce qu'on trouve mystérieux afin de lui faire avouer tous ses secrets. C'est un peu le conte de la poule aux œufs d'or : à aller voir ce qui se cache derrière, on risque bien de tout perdre d'un coup. Bonello, certes, est un maître du dispositif, des événements ritualisés, mais soudain j'ai senti que le rituel n'était rien d'autre -en fin de compte- que l'expression d'une peur irrépressible.

Le cinéma est largement affaire de fantasme, et je me demande si par contre-coup ça ne devient pas la chose la plus risquée à traiter en direct dans un film. Faire du pain avec une machine à pain, très bien, mais du fantasme avec une machine à fantasme... Dans ces matières-là mieux vaut, je pense, aller de biais.
Chaiev
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Dômes et Sticks

Créée

le 28 sept. 2011

Critique lue 2.2K fois

53 j'aime

21 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 2.2K fois

53
21

D'autres avis sur L'Apollonide, souvenirs de la maison close

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

279 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

268 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74