Lorsque Stephen King et Howard Phillips Lovecraft se croisent dans l’esprit de John Carpenter, c’est simplement de la folie. Ce que le metteur en scène nous offre, c’est surtout de l’horreur sur toutes ses déclinaisons. Le spectateur est client de l’effroi, le voilà servi dans une inspiration à la fois soudaine et démesurée. Le fossé entre la croyance et la réalité, que traite l’œuvre, se dote d’une portée parfois plus sinistre que précédemment. On pénètre dans les boyaux de l’indescriptible, un sujet justement lovecraftien, qui explore la verticalité des atrocités de l’humanité à travers diverses créatures. Ceux-ci sont palpables physiquement, mais sont surtout perceptibles moralement. Les détails viennent appuyer le sentiment d’insécurité pour celles et ceux qui s’abandonnent à l’imaginaire. Et de cette façon, le spectateur est catalysé dans une réflexion abstraite, régie par ses propres frissons et ses propres croyances.


Le malin, ce n’est donc pas nous, ni même le détective John Trent (Sam Neill), que l’on peut admirer pour son réalisme, mais dont les principes seront sévèrement remis en question. Si l’entrée en matière nous laisse inévitablement croire au pire, à savoir l’apocalypse. Il semble qu’il puisse rester un soupçon d’espoir dans l’arrogance de ce personnage bienveillant, mais loin d’être tout-puissant. Face au succès mondial du dernier ouvrage de Sutter Cane (Jürgen Prochnow) et de sa discrétion, la croisade le mène à changer de point de vue et de redouter le surnaturel qui l’interpelle. Le résultat est tranchant et la mise en abime soulève bien des interprétations. Et il faudra évidemment en avoir connaissance afin de bien saisir leur portée et leur conséquence. Cela démarre avec des visions chaotiques, sondant l’esprit du détective et des spectateurs qui ne peuvent lier ces fragments que par la curiosité. Il ne s’agit donc plus de renverser la tendance, qui prend peu à peu forme dans une fatalité qui n’omet pas de faille, si ce n’est notre crédulité mal placée.


Il est donc nécessaire d’épouser ce regard craintif et cette atmosphère de l’étrange qui envahit l’écran. La gestion du cadre nous étouffe contre la détresse que l’on partage avec les protagonistes, qu’il s’agisse de l’angélique Linda Styles (Julie Carmen), revendiquant les bienfaits de la surconsommation de l’épouvante ou du docteur Wrenn (David Warner), impuissant face à la réalité qu’on lui décrit et qu’il finit par accepter. En remontant vers les origines du mal, son omniprésence ne fait plus aucun doute et le fil assume simplement son statut d’existence, comme un objet soumis à des forces qui le dépassent. Ironiquement, mais symboliquement, nous pouvons un voir le reflet de l’industrie cinématographique qui ignore ce qu’il propage dans son business, en contaminant ses clients, en les habituant à une recette dont chacun cherchera à acquérir la vérité. Ce prestige a également un coût, qui n’est maîtrisé, à l’exception de celui qui tient son univers au bout de sa plume.


Il est rare de constater une transposition d’une grande justesse et aussi nette du manuscrit à l’écran. Ce que Lovecraft ou King savent sublimer à l’écrit, nous finissons par en lire les lignes et à en découvrir les vertus cinématographiques. Un film peut en cacher un autre, tout comme la réalité derrière les croyances. La prise de conscience éveille le caractère du monde et le rapproche un peu plus de « l'Antre de la Folie » (In the Mouth of Madness). En nageant constamment dans un entre-deux, il y a matière à féconder le fantasmagorique et à cueillir les contours du mal absolu. Mais que faire pour cela ? Les personnages abandonnent ainsi leur humanité ou bien s’abandonne à la folie, le prix à payer afin de tutoyer l’horreur qui se dresse devant eux et qui ne renonce pas. N’oublions pas que nous avons tous notre place dans ce récit et cet ultime volet apocalyptique.

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le 4 nov. 2020

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