Histoire dérangeante, difficile, voire impossible à cerner et que le scénario parvient tout de même à rendre regardable. Le film réussit bien à raconter cet événement compliqué, grâce donc d'abord à un scénario plutôt habile, ensuite à une mise en scène très simple mais redoutablement efficace et également à un acteur d'exception, un Daniel Auteuil bluffant.

Cette histoire d'un type étranglé par un mensonge tout bête et dont il n'arrive jamais à se défaire, à tel point qu'il se transforme en une imposture vieille de plusieurs années, sur laquelle il bâtit toute une vie, cette histoire est proprement incompréhensible. Je n'y arrive toujours pas. Je crois bien que personne de sensé ne peut comprendre les mécanismes profonds qui empêchent cet homme de se libérer. C'est le propre de la folie, elle échappe à toute compréhension, elle n'est pas de ce champ-là.

Et du reste, le film ne cherche pas l'explication. Il nous met dans la position de témoin seulement. Comme les amis du couple, comme l'épouse même du personnage, on se heurte aux faits, on voit bien le déroulement des événements, comment Faure (Daniel Auteuil) entretient son imposture, comment parfois il est au bord de dire la vérité, comment il s'enferre avec violence dans son propre piège au mépris de toute cohérence, de l'évidente issue fatale, on voit tout, mais on ne comprends toujours pas. On assiste à une descente en enfer, à cette souffrance rentrée qui jaillit ici ou là en pleurs, en douleur somatique, ou dans la violence physique, jusqu'au massacre final qui laisse apparaître le dédoublement de personnalité nécessaire pour arriver au terme d'une trajectoire vouée à l'échec.

Les allers-retours chronologiques aménagés par le scénario ne perdent pas le spectateur, mais au contraire captent son attention, le tiennent mobilisé tout le long du film. C'est astucieux et bien fait. La lecture reste facile, car cela reste d'un usage parcimonieux.

La mise en scène de Nicole Garcia nous livre deux ou trois scènes intenses où les comédiens donnent la pleine mesure de leurs talents.
J'ai le souvenir d'une très belle scène entre Daniel Auteuil et Bernard Fresson ou bien celle où Faure est à deux doigts de révéler son pesant secret à son ami joué par un grand François Cluzet qui ne le comprend pas. Les deux acteurs font très fort dans un dialogue de sourds terrible de conséquences. Ils impressionnent tous les deux!

Daniel Auteuil est époustouflant de bout en bout. Il y a une scène en gros plan fixe où on le voit au bout du rouleau, acculé. Il vient voir son ami, sans doute pour lui dire sa souffrance, pour trouver de l'aide. Sur le pas de la porte, il est accueilli par la femme de Cluzet, lequel n'est pas là. Elle est trop occupée par la marmaille qui s'agite dans la maison. Elle lui demande s'il a un message à laisser... et Auteuil a un je-ne-sais-quoi dans le regard, fait passer le trouble, le désespoir avec un rien, un œil qui cherche quelque chose dans le vague, qui frémit, il se rend compte qu'il est perdu. Magnifique! Ou bien une autre scène où il craque, il pleure, sans parvenir à dire que ce soit à sa femme. Une frontière qu'il ne parvient pas à dépasser le sépare des gens qu'il aime et sa douleur fait mal à voir. Bref, Daniel Auteuil est gigantesque. C'est pas un scoop, je sais, mais ce film le montre au sommet de son art.

"L'adversaire" est un film perturbant, dont la finalité me reste inconnue, ce qui ajoute au malaise qu'il suscite. Cependant, cinématographiquement parlant, il est irréprochable, très bien fichu. Bien écrit, bien réalisé, bien joué.
Alligator
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le 2 sept. 2014

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Alligator

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