Knock at the cabin prolonge la réflexion menée par M. Night Shyamalan sur l’héroïsme, notion complexe qu’il fait peser sur des individus ordinaires subitement projetés dans une destinée collective qui les submerge. Le cas présent en constitue peut-être la pièce la plus radicale et pertinente : en jouant sans cesse avec nos attentes de spectateurs, en désamorçant une situation initiale qui s’apparente à un home invasion, en détournant les préjugés qu’incarnent chacun des personnages – Leonard apparaît telle une armoire à glace mais est en réalité un instituteur calme et soucieux de bien faire, Sabrina ressemble à une fervente adoratrice du Christ alors qu’elle se déclare athée etc. –, le cinéaste nous invite à regarder ailleurs : les antagonistes ne sont pas ceux que l’on croit, voire n’existent pas, voire glissent depuis le quatuor armé vers une famille tiraillée entre égoïsme éclairé et altruisme.

Ainsi, le long métrage postule pour une défiance à l’égard des images, ou plutôt nous convie à reconquérir leur sens. Les reportages en immersion dans des zones dévastées suivent des programmes commerciaux où deux bonimenteurs vous poussent à acheter un appareil ménager pour paner votre poulet, ainsi que des séries animées candides à destination des plus jeunes. Cette invitation à la critique des images vise l’accès à la vérité, présente mais enfouie sous des couches de divertissement régressif et soumise à l’interruption lorsque l’écran est éteint. Ce n’est pas parce qu’on ne le voit pas que cela n’existe pas, adage bien connu qui prend ici une signification particulière puisqu’il associe les théories du complot – par exemple, celle du platisme selon laquelle notre planète est plate sous prétexte qu’elle ne l’a pas vue ronde – véhiculées par les nouvelles technologies à la croyance religieuse vers laquelle tend le long métrage. La clausule insiste sur ce point : ce n’est pas parce que l’on coupe la radio que la chanson favorite du couple n’est pas diffusée. Aussi est-il plus difficile de vivre avec la vérité que dans son ignorance ou dans l’apparence de vérité : le vraisemblable.

Knock at the cabin repose donc sur une entrée en croyance de personnages sceptiques, comme souvent chez Shyamalan, sur leur accès aux coulisses derrière lesquels suivre le fonctionnement caché du monde et y prendre part. Le culot du cinéaste tient alors au choix d’un couple homosexuel, qui d’ordinaire subit l’égoïsme extérieur – les flashbacks le rappellent : parents incapables de comprendre leurs fils, mensonges à l’orphelinat, violences endurées dans les espaces publics –, comme cellule soumise à un dilemme individuel aux retombées collectives. L’héroïsme ne ressemble plus à ces fantoches numériquement retouchés que déversent les productions Marvel ou DC, il se fait souffrance, malédiction, peuplé de visions cauchemardesques auxquelles nous avons accès d’abord par le récit qu’en font les cavaliers de l’Apocalypse, ensuite par le téléviseur qui les confirme. Nous retrouvons le David Dunn d’Unbreakable (2000), seul rescapé d’un accident ferroviaire qui le conduit à se reconnaître super-héros et à accepter son destin.

Shyamalan rend légitimes et réalistes tout un panel de figures aussi variées que Jeanne d’Arc, guidée par des voix ; il confond les influences esthétiques et les religions pour aboutir à la célébration du sacrifice ordinaire et anonyme, ce même sacrifice qu’acceptent non sans lutte, jour après jour, des familles pour permettre au monde de tourner et aux autres de vivre. Il le fait toutefois, comme à son habitude, avec une pesanteur théorique qui plombe la dernière partie : le cinéaste a systématiquement ce besoin de tout expliquer, de lever le mystère au nom du tout-puissant « twist ». Pourquoi expliciter les cavaliers de l’Apocalypse ? pourquoi filmer les documents d’identité de chacun ? Aucune confiance n’est placée en un spectateur guidé par un gourou omnipotent, qui devrait apprendre à laisser les portes de son univers ouvertes à l’interprétation plutôt que de les fermer toutes à double tour. Reste une œuvre originale et intelligente, portée par une mise en scène soignée et des acteurs convaincants.

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le 16 févr. 2023

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