Film vu à la cinémathèque en 35 MM lors d'une rétrospective Warner Bros et les années 70.


Une nouvelle étape dans ma découverte du Nouvel Hollywood, c'est le premier film d'Alan J. Pakula que je vois, même si j'ai vu un extrait de The Parallax View (1974, Alan J. Pakula) en cours d'histoire du cinéma américain contemporain, les deux films appartenant à une trilogie de thriller paranoïaque du même auteur, avec également Les Hommes du Président (1976, Alan J. Pakula).


Klute (1971, Alan J. Pakula) est un thriller singulier dans la façon qu'il a d'essayer de jongler entre la pure mise en scène de genre, avec de la tension en milieu urbain et une figure d'antagoniste qui voit tout et instaure la crainte chez sa cible par des appels téléphoniques répétés, rappelant le premier giallo de Dario Argento L'Oiseau aux plumage de cristal (1970, Dario Argento) dans la création de l'angoisse dans des appartements plongés dans l'ombre; et la dépiction d'un personnage développé de prostituée New-Yorkaise (joué par Jane Fonda), traitée à la manière du Nouvel Hollywood c'est à dire avec de la profondeur dans l'évolution de sa psyché et le rapport à sa situation, en faisant de cela un axe du récit presque aussi important que l'enquête et la tension, ce qui résonne également lors du final (nous y reviendrons).


L'axe thriller du film se concentre sur un procédé monolithique, Bree est épiée en permanence et ça joue sur ses nerfs, cela prend la forme d'une plongée zénithal sur elle montant les étages d'un immeuble au sein cage d'ascenseur, d'une vue des personnages depuis les toits, d'une silhouette dans l'ombre, d'un placement de la femme derrière une grille poursuivi par un travelling, de la main d'un homme agrippant cette même grille (plan repris 4 ans plus tard avec un gant de cuir noir dans Les Frissons de l'Angoisse (1975, Dario Argento) ou de longs plans fixes la montrant immobiles avant de reculer (par dézoom ou travelling arrière) pour la montrer écrasée par la menace, tout cela accompagné d'une unique musique de suspense dont les sonorités étranges ne seraient pas reniées par le cinéma horrifique. Ces procédés de tension s'accumulent dans une atmosphère vivante, l'urbanité écrasante purgé du peu de verdure qu'on entre-aperçoit dans la courte introduction, symbole d'un hors New York plus paisible là où la ville semble constamment dévorée par les ombres (résultat de la superbe photo de Gordon Willis, chef op maître des ombres qui officiera également dans Le Parrain (1972, Francis Ford Coppola)) qui, dans ces années de libertés nouvelles pour les cinéastes mais aussi les chefs opérateurs, peuvent absorber entièrement les personnages à de nombreux instants sans que cela ne soit réserver à quelques effets du film noir classique américain (30-59) récupérer de l'expressionisme Allemand de la période muette (dans les années 20). Ce territoire urbain vit à l'image dans tout les cadres du récits avec l'ensemble des habitations plongés dans le noir et ce fameux plan d'ascenseur stylisé qui revient à plusieurs moments du récit comme marqueur spatiale, indiquant un lieu qu'on revisite (comme le siège de la psy) et comme plan signifiant, mais également dans une usine de textile, dans quelques passages au sein de la rue ou dans une boîte de nuit bondée donnant lieu à un séquence quasi contemplative où les paroles sont supprimés pour ne laisser qu'une sensation d'écrasement dans l'entrelacement des présences humaines se croisant dans une série de plans qui semblent, par leur rythme lancinant et ralenti, ne jamais s'arrêter. Poussant encore plus loin dans la direction de l'implication du décors dans la mise en scène, l'antagoniste le fait sien, de façon plus voyante encore qu'avec les grilles qui cloisonnait le mouvement de l'héroïne ou le toit de son appartement qui semblait l'épier, quand il est filmé, surplombant la ville dans un gratte ciel immense, à plusieurs reprise, dans une gradation de puissance visuel, jusqu'à un plan fabuleux de panoramique qui plonge des hauteur vers le sol en dézoomant, donnant à l'immeuble qui s'étend une dimension à la fois abstraite et sans limite, comme s'il se démultipliait, symbole d'une ville tentaculaire qu'il contrôle (la hauteur symbolisant également son statut important, sa hauteur sociale) et qui encercle les protagonistes durant l'entièreté du récit.


Mais cette mise en scène développée autour de figure spatiales, convaincantes et élégantes, se heurte parfois à son aspect au delà du genre, avec le soin apporté à son personnage qui vient interrompre la tension à quelques moments par un retour chez le psy, qui en dehors du climax qui entremêle les deux, priorise la question du ressenti intérieur de Jane Fonda sur la véritable menace qu'elle subit. Il reste que son personnage bénéficie d'un traitement que pourrait lui envier une grande par du cinéma moderne (2000-2020), d'autant plus le thriller moderne (pensons par exemple à deux productions Besson, Le baiser mortel du dragon (2001, Chris Nahon) et Hitman (2007, Xavier Gens) qui suive exactement la même pause insupportable dans le récit avec une relation entre un homme monolithique, machine à tuer et un personnage de prostitué fonction en détresse qui va l'adoucir, sans saveur et sans construction), avec un rapport trouble à la prostitution, manière d'atteindre un statut d'actrice/mannequin qu'elle ne peut posséder autrement, ainsi que de gonfler sa confiance en elle (rappelant un certain Joe Buck protagoniste magnifique de Macadam Cowboy (1969, John Schlesinger), mais qui la confronte à une vie glauque qui peut lui faire rencontrer la mort et qui ne lui apporte pas la satisfaction mental et physique, le film jouant d'ailleurs dans l'axe thriller et développement du personnage sur la situation de prostituée de l'héroïne dont on pourrait voir la figure antagoniste et son prolongement dans la ville comme métaphore d'un mal en elle qui l'empêcherait d'atteindre le bonheur affectif (enjeu de sa relation avec le détective Klute éponyme, qui reste malgré tout très effacé) et de quitter son ancienne vie.


Pour filer cette idée de la ville et du thriller comme métaphore des tensions internes à sa protagoniste (attention, l'exploration d'une soi disant métaphore est toujours quelque chose de fragile, qui peut vite basculer dans de la surinterprétation, il s'agit ici d'une proposition adresser au lecteur et non d'un constat froid mais cela me semble thématiquement valable et se coordonne extrêmement bien avec l'impératif de mise en scène suivi par le film que je vais développer), on constate que le film travaille à renvoyer au hors champ, à maintenir cacher volontairement dans une époque de libération de l'image (vis à vis des censures du Code Hays) dans le cinéma américain, l'ensemble de la violence c'est à dire des meurtres, du tabou sexuel (la nudité et le sexe sont, malgré le sujet, très ténus) ou même l'intimité de l'héroïne (puisque comme elle le révèle assez tôt dans le film à sa psy, elle passe la plus grande partie de son temps à jouer un rôle pour ne pas s'impliquer dans ce qu'elle vit, dans la prostitution comme dans sa relation avec le protagoniste) qui réémerge dans le film par un grand travail du son, propice à l'imagination. L'intro brutale témoigne de ce parti pris en évoluant en un instant d'un repas sans parole, une pure ambiance nous plongeant directement dans le récit, à l'annonce de la disparition d'un mari autour de cette même table du repas, sans qu'on ne sache rien de personne ni qu'on ait assisté à quoi que ce soit. Le générique qui suit, grande réussite de sobriété et d'image intrigante et bouffée par le grain d'un petite enregistreur cassette disposé sur une surface, vient nous confronter à un enregistrement inconnu où l'on construit le mystère du film sur la relation entre la disparition et la fameuse prostituée tout en développant un discours déculpabilisant sur la liberté sexuelle qui se révélera plus trouble au fur et à mesure de l'avancée du métrage. Le travail sonore se poursuit dans les images de tensions, les coup de fil bref, les enregistrements diffusés et rediffusé (rappelant le grand film paranoïaque de Coppola autour de l'espionnage sonore, Conversation Secrète (1974, F.F. Coppola) gagnant de la palme d'or) ou cette unique musique de peur (se disputant avec une autre symbole de sentiments amoureux naissants) qui se propage lors de travelling et dézoom arrière sur une Jane Fonda immobile et en tension. Et ce même travail permet de continuer à explorer l'intériorité de Jane Fonda par un recours à la voix off qui s'oppose au actes et paroles simulés face à John Klute, et s'inscrit pleinement dans la diègése en étant dérivé des discussions avec sa psy prolongeant l'idée d'un voyage mental - ce recours rappel celui, plus sauvage et décontenançant, que faisait Truffaut dans Les deux anglaises et le continent (1971, François Truffaut) qui travaillait également la frontière entre ce qui est montré par les personnages et leur part cachée de ressenti mais, et c'est une seconde différence outre la forme, le film se concentrant entièrement sur des personnages et échappant au genre, il les traitaient à part égale quand dans le film d'Alan J. Pakula seul Jane Fonda est traité tandis que son pendant masculin conserve une dimension froide et d'une virilité quasi insensible qui se défend dans le jeu d'acteur bien que la posture confine parfois, par sa récurrence, à quelque chose de l'ordre de l'archétype de série B.


Ainsi ce reflux sonore des pensées intérieurs de l'héroïne, du fantôme de sa sexualité tourmentée et de la menace générale du film qui se crée par le bruit des micros vibrations de sa musique, par l'encerclement de la ville ou les personnes qui meurt sans qu'on les voient, amène l'idée d'un récit mental, d'une bataille psychologique contre un trauma refoulé, qui revient sous la forme d'un maniaque sadique battant des prostituées et éclate dans le final, dans cette lente scène d'écoute amenant un summum de violence refoulé visuellement, qui se mue en une tentative de meurtre qui, à défaut de disparaître, prend la forme d'un montage distordu des mouvements de bras, de poing, profondément désagréable, qui finit en une disparition de l'ombre du tueur à travers une fenêtre donnant sur un crépuscule magnifique mais conservant un teinte jaunâtre, symbole de l'aspect glauque persistant de la ville de New-York, sans qu'aucun coup de feu n'ai été tiré à l'image, refusant une fois encore un recours à l'action, à l'attraction violente du spectateur (qui fait la tenue rythmique et la force du cinéma, pas si éloigné de ce film çi, de Dario Argento), confortant une fois encore la sensation de dépassement du trauma, avec l'aide de son amant, qui aboutit à une conclusion où les protagonistes laissent le spectateur seul, se débarrassant de la pression du téléphone trônant dans l'appartement vide et du cadre oppressant de la ville de New-York.

KumaKawai
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le 2 juin 2023

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