KING KONG épisode 3 : "C'est la belle qui a tué la bête"

Peter Jackson est l'un des réalisateurs les plus fascinants de ces trente dernières années et probablement l'un de ceux ayant la carrière la plus intéressante à suivre. Le cinéaste est l'enfant terrible du cinéma néo-zélandais. Ayant débuté sa filmographie avec des oeuvres semblant conçues par un sale gosse sans limite, Jackson se fera vite remarquer par le public et les festivals. Son premier long-métrage, Bad Taste, est un succès surprise auquel le cinéaste ne s'attendait pas. Le film propose un humour potache, souvent sous la ceinture, et possède une certaine violence. L'aspect général de l'oeuvre assume un aspect très amateur, mais nous sentons que le cinéaste, aussi jeune soit-il, a du talent.
C'est avec son deuxième film, Les Feebles (sorte de The Muppet Show avec le sexe, l'alcool et la drogue en plus), et son troisième, Braindead, que le cinéaste développera son univers si particulier. Ces deux oeuvres pactisent avec un cinéma de débauche ou tout est permis dans un humour et un visuel gras mais puissant. Peter Jackson s'affirme comme un réalisateur jusqu'au boutiste n'ayant aucune limite dans ses créations et ses idées. Jamais le cinéaste ne cesse de créer et d'aller toujours plus loin dans ce qu'il propose à l'écran, Braindead et son gore à foison en est un excellent exemple.


C'est en 1994 que Jackson se fera remarquer par les majors avec Heavenly Creature (un chef d'oeuvre méconnu selon moi). Plusieurs projets sont alors proposés au jeune réalisateur, dont l'adaptation de Le Seigneur des Anneaux et un remake de King Kong. Le King Kong de 1933 étant son film préféré, il saute sur l'occasion et commence avec Weta Digital a travailler sur la pré-production du projet. Les plus attentifs remarqueront d'ailleurs que l'introduction de son Braindead débute justement sur Skull Island (en hommage), l'île où se déroule le récit de King Kong justement. Pour Jackson, c'est un rêve d'enfant qui se met en place, mais il retombera finalement sur terre du fait de l'échec commercial de son film suivant : Fantômes contres Fantômes.
Le projet (intitulé Kong à l'époque) est annulé et le cinéaste se rabattra sur Le Seigneur des Anneaux, ce qui ne sera pas pour nous déplaire, admettons-le. La trilogie ayant été l'immense réussite que nous connaissons, le cinéaste reçu finalement le feu vert afin de lancer la production du remake du King Kong de 1933. Jackson recevra le plus gros cachet jamais attribué à un réalisateur et s'investira pleinement dans le projet, en recommençant tout le travail accompli dans les années 1990 à zéro. Le film sortira finalement en 2005 et sera un immense succès, mais il divisera le public.


Avant toute chose, de quoi nous parle ce film ? Précisons que ce qui suivra contient des spoilers, j'estime que tout le monde connaît l'histoire de King Kong dans les grandes lignes, vous voilà prévenu : "A New York, en 1933, le cinéaste Carl Denham (Jack Black) engage la jeune actrice Ann Darrow (Naomi Watts) pour son prochain film qui doit se dérouler à Skull Island, une île inexplorée à l'est de Sumatra. L'archipel sauvage abriterait une divinité mystérieuse vénérée par les indigènes. Après un difficile voyage en mer, l'équipe du tournage débarque. Très vite, Ann est enlevée par des cannibales puis offerte en sacrifice à Kong (Andy Serkis), un singe gigantesque."
Le film est divisé en trois parties distinctes : les préparatifs du voyage ainsi que la traversée en bateau, les péripéties sur l'île (la plus longue) et, enfin, le retour à New-York. Précisons que nous nous basons ici sur la version longue du métrage atteignant les 3h20.


Dès l'introduction, Jackson affirme sa filiation avec le film de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack en situant l'action en 1933, année de sortie du premier King Kong. Le cinéaste nous parle également de lui à travers le personnage de Carl Denham, ce petit réalisateur pataugeant à vouloir faire valoir son regard artistique face à de producteurs ne lui offrant que des budgets ridicules. De manière générale, Jackson offre peut-être selon moi son oeuvre la plus personnelle à ce jour. La première partie de ce long-métrage est impeccable et réussit brillamment à nous immerger dans les années 1930 post crash boursier et à nous présenter les personnages.
Nous sommes immédiatement attachés aux différents caractères embarqués malgré eux sur un bateau les menant vers un lieu que nous savons rempli de danger.
Le voyage en bateau ne cesse de faire grandir le mystère et l'inquiétude concernant la terrible Skull Island. Les acteurs, les dialogues, l'atmosphère et la musique ne cessent de faire monter la tension jusqu'à l'arrivée sur l'île.


La seconde partie du métrage nous plonge donc sur Skull Island. C'est là que Jackson fera exploser sa créativité pour donner vie à l'île et à sa faune locale. La première rencontre que l'équipe de Denham sera contrainte de faire sera celle des indigènes locaux. Ces derniers sont purement terrifiants et instaurent, dès les premières séquences où ils apparaissent, une tension palpable et une omniprésence de la mort, de la cruauté et de l'animalité sur Skull Island. Le reste de la faune va varier entre des dinosaures, les créatures aquatiques et les insectes gigantesques, le tout dans une jungle labyrinthique étouffant les protagonistes en ces lieux où l’homme n'a pas sa place. Jamais, dans les différentes versions de King Kong au cinéma, l'île n'aura été aussi vivante et organique que dans le film de Jackson. Le cinéaste prend un plaisir immense à offrir une identité propre à cette terre et à la rendre la plus oppressante, terrifiante et titanesque possible.
L’Homme vient, comme dans le King Kong de 1933, profaner un lieu où il n'est pas le bienvenu. Cet espace semble hors de nos normes, hors du temps. Nous ne pouvons ressentir qu'une sensation de désespoir envers les protagonistes qui font route vers une mort quasiment certaine pour la plus grande partie d'entre eux.


Jackson offre des séquences dantesques et hors du commun et assume un jusqu'au boutisme absolu dans sa façon de faire s'enchaîner les péripéties. Certaines scènes ne fonctionnent pas toujours au maximum, comme la scène de la charge des diplodocus (qui aura bien accusé le poids des années) ou celle où Jack (Adrian Brody) court sous l'eau qui, même dans l'univers de Jackson , nous fait nous questionner quant à la notion de réalisme. Pour le reste, absolument rien n'est à jeter selon moi.
Le point culminant de ces péripéties sera atteint lors de la séquence de la fosse aux insectes géants. Cette scène, au-delà de son aspect purement cauchemardesque, offre probablement le passage le plus désespéré du métrage. Les protagonistes sont dès lors à bout de souffle et à court d'objets leur permettant de se défendre, si ce n'est quelques bouts de bois récupérés au sol. L'ambiance visuelle et sonore laisse planer le doute quant à la réussite des survivants à sortir de cet espace que nous pourrions qualifier d'infernal. Une mort atroce et remplie de terreur semble leur être réservée. Nous aurons par exemple le personnage du cuisinier (joué également par Andy Serkis) qui sera dévoré, par ce qui semble être des sangsues géantes, dans une scène qui aura marqué plus d'un spectateur. Sachez d'ailleurs que toute cette scène est un hommage à une autre scène du King Kong de 1933 qui fut perdue dans un incendie et donc jamais visionnée. L'équipe de Jackson aura d'ailleurs reconstitué cette séquence (en bonus) avec les techniques d'époque en fonction des informations qu'ils avaient sur la scène d'origine, ce qui est une performance remarquable de leur part. Vous pourrez la retrouver ici si vous souhaitez la visionner : https://www.youtube.com/watch?v=SOMKnhN7ABs
Le passage de la fosse aux insectes (ainsi que les précédents) pousse le jusqu'au boutisme de Jackson dans ses derniers retranchements, un jusqu'au boutisme sur lequel nous reviendrons.


Concernant les personnages, ils sont tous réussis. Chacun d'entre eux aura en effet droit à son moment de gloire, même les personnages secondaires et tertiaires. Naomi Watts en Ann Darrow est exceptionnelle et offre un personnage riche et instantanément culte. Jack Black trouve en Carl Denham probablement le rôle de sa vie. Il interprète à la perfection ce personnage au physique proche d'un Orson Welles prêt à tout pour mener à bien son travail, peu importe ce qu'il en coûte (ce qui rappelle ce concept de l’homme égoïste pensant à son propre intérêt présent dans le film de 1933). Adrian Brody est peut-être le seul personnage un peu trop manichéen du film, mais il garde un certain courage et un capital sympathie faisant qu'il est difficile d'aller contre lui. Le vrai point noir concernant les caractères seraient peut-être le fait que les personnages secondaire disparaissent dans la dernière partie du métrage, sans que nous sachions ce qu'ils deviennent après les tragiques événements de Skull Island.


Parlons enfin du personnage central du long-métrage, celui qui obsède Jackson : Kong. Il est finalement dans la forme assez semblable aux deux versions précédentes, mais propose certains éléments qui le différencient de ses prédécesseurs. Déjà, nous sommes face à un gorille portant les marques de ses combats et de son passé, ce qui implique une certaine vieillesse chez l'animal. L'âge avancé peut représenter la sagesse, il est le Kong le plus impressionnant et le plus violent de ceux que nous avons pu voir par le passé, mais possède paradoxalement beaucoup plus d'instants de réflexion. Il est de fait beaucoup plus humanisé que ce qui nous avait été présenté par le passé, c'est d'ailleurs ce qui fera qu'Ann Darrow finira par le comprendre et à entrer dans une sorte de symbiose avec la créature, du fait de son rapport proche à l'humain. La relation entre la jeune femme et Kong est d'ailleurs très intelligemment mise en place et, hormis quelques séquences parfois trop clichées, nous ne pouvons qu'avoir de l'affection et de l’empathie pour ces deux êtres. La performance de Serkis est à couper le souffle, même si certains regretterons justement cette version peut-être trop humanisée du primate. De mon côté il me semble justement intéressant d'avoir voulu donner vie d'une façon aussi précise et bluffante aux expressions et mouvements de celui-ci. Jamais Kong n'aura été aussi grand et fort, il est très impressionnant pour le spectateur.


Le fait est que nous sommes loin du point de vue du film de 1933 sur certains aspects. En effet, dans le premier film, le singe était associé au méchant pour le public, jusqu'à finalement arriver au final renversant la balance. Oui, nous pourrions critiquer le fait que Jackson fasse de Kong un personnage presque immédiatement attachant, ou au moins ambigu. Cependant, la mentalité des spectateurs a bien évolué en septante ans et la conscience collective interprète le gorille comme la victime tragique, sans même avoir vu un seul métrage le concernant. Le cinéaste peut donc se permettre d'en faire un être beaucoup plus humain et de dénoncer frontalement les agissements de l’homme. La vision et les directions prises par Jackson sont donc à mon sens totalement justifiées. La mort de Kong sera d'autant plus émouvante et triste que nous savons dès le début qu'elle sera sa funeste destinée. La relation liant Ann et le singe aura complété l’attachement du spectateur à ce gorille géant. Le film s'achève donc sur cette célèbre phrase : "C'est la belle qui a tué la bête".


Le King Kong de 2005 est une oeuvre grandiose qui, sans atteindre l'impact gigantesque du film de 1933, aura su se montrer comme une sublime vitrine technologique. On pourra certes regretter parfois que ce remake soit un peu trop fidèle au métrage d'origine, l'empêchant dès lors de trouver sa personnalité propre, mais cela peut tout à fait être justifié selon moi. Vous parler des débuts de la carrière de Peter Jackson en début de cette chronique est chose important selon moi. King Kong (2005) comporte un retour aux origines du cinéaste que l'on ne fait pas assez souvent remarquer. Faire de cette oeuvre un objet de près de 3h20, où l'action et les péripéties semblent inépuisables et assument un jusqu'au-boutisme sans limite, c'est bien là un style typiquement "jacksonien".
Cette idée d'y aller à fond et d'oublier toute demi-mesure rappelle le style du réalisateur à l'époque de Braindead. Nous pourrions pour justifier tout cela prendre la séquence hallucinante ou Kong se bat contre un Tyrannosaure. Le combat sonne tout d'abord comme un hommage au film original, avant de démontrer par la suite que le cinéaste embrasse sa direction où les limites n'existent pas. C'est alors qu'un second puis un troisième T-Rex débarquent afin de mettre en déroute le primate géant. C'est à travers ce mémorable combat titanesque que nous trouvons la preuve des intentions de Jackson et paradoxalement de son amour immense pour l'oeuvre d'origine. Le film est certes semblable narrativement à son aîné, mais il serait de mauvaise fois de ne pas admettre que nous sommes face à une oeuvre réalisée avec passion par un auteur qui s'est pleinement approprié le métrage.


King Kong version 2005 est l'un des remakes les plus aboutis qui soit selon moi et l'une des oeuvres les plus fascinantes du réalisateur. Il s'agit très certainement du film le plus personnel de Jackson, un métrage imparfait mais où les défauts peuvent largement êtres oubliés au profit d'un grand moment de cinéma.

Créée

le 18 mai 2020

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