Ce n'est pas parce qu'un film est signé Bresson ou Dreyer qu'on doit crier au génie. L'un et l'autre, cinéastes de la foi et de la grâce, se distinguent par leur sens de l'épure, mais l'épure ne fait pas systématiquement le grand film : encore faut-il que ce qui soit donné à voir à l'écran soit réellement puissant.


Là, les dialogues souvent abscons, le caractère monotone des scènes, ne sont pas suffisamment contrebalancés par la force de l'image. D'où un certain ennui qui, je l'avoue, m'a gagné, bien que la foi soit un sujet qui me passionne. Bresson a voulu montrer, je pense, le quotidien d'un prêtre à la campagne, s'efforçant de gommer tout relief, toute dramatisation. C'est un parti pris, mais qui ne convainc pas forcément. Et le chemin de croix du héros est un peu, il faut l'admettre, aussi celui du spectateur.


Le film a tout de même quelques belles qualités. Notamment le travail sur le regard, qui traduit l'essence de chaque personnage : regard perdu pour le héros, regard franc pour l'abbé de Torcy, regard mélancolique pour la comtesse, regard méprisant pour le comte, regard brûlant de haine pour sa fille, regard fourbe pour la jeune blonde qui suit le catéchisme, regard embué de larmes pour l'institutrice... Bresson s'attarde sur les visages pour faire passer ces caractères.


A noter aussi quelques beaux plans :
- les plans de grille, assez nombreux
- le héros marchant dans le parc du comte
- la scène au confessionnal entre Chantal et le héros
- la scène où le héros s'effondre dans la boue (très beau plan avec des arbres dans la pénombre)
- la scène de la moto, où l'on esquisse enfin un sourire, comme le héros, dans ce film assez lugubre !


Mais, comme je l'ai dit, ils sont trop peu nombreux pour captiver durablement... Autre défaut, la musique très pompeuse... pompée, d'ailleurs, largement, sur l'ouverture de Tristan et Yseut de Wagner. Et, si Claude Laydu est formidable en individu fragile (avec un physique quelque part entre Gérard Philippe et Jean-Pierre Léaud), d'autres acteurs sont beaucoup plus faibles, voire jouent faux (récurrent chez Bresson, qui préféraient les acteurs non professionnels), comme la jeune fille blonde dans la scène où elle s'occupe du héros tombé dans la boue.


On est encore loin, très loin de la grandeur de Mouchette ou de Au hasard Balthazar.

Jduvi
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le 2 sept. 2018

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Jduvi

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