Qu'a-t-on fait de l'ouest américain ?

Où sont passés les rêves de ces pionniers qui ont fait la conquête de l'ouest ?

Cette terre devait-être un nouveau monde où chacun pouvait repartir de zéro et devenir quelqu'un. Cette contrée lointaine devait permettre la concrétisation du rêve américain, cette idée de tout le monde, par force de travail et de détermination, puisse réussir sa vie.

La liberté individuelle, le dépassement de soi, la foi en Dieu ; c'était tout ça l'Amérique.

Une fois la conquête de l'ouest réalisée, les rêves sont déjà dépassés et la réalité est tout autre.

Western réaliste ou désabusé, McCabe and Mrs Miller s'inscrit pleinement dans ce Nouvel Hollywood qui a décidément le vent en poupe en ce début des années soixante-dix. Loin de toute considération romantique, Altman porte un regard sans concessions sur ce nouveau pays où les idéaux d'antan ont laissé place à une réalité bien plus sordide. Notre homme s'attaquera à de nombreuses reprises à cette mythologie américaine (Buffalo Bill and the Indians ou Nashville) ; ici il revisite l'ouest, ses valeurs et ses légendes, et surtout démonte l'idéal du "self-made-man".

Si la conquête de l'ouest avait permis la réalisation du rêve américain, alors John McCabe serait sans doute le héros de tout un peuple. Voilà un homme qui ne possédait rien et qui, après s'être installé dans une ville où tout est à construire, est arrivé à monter sa petite entreprise et à la faire prospérer. Lorsque son succès est menacé par la convoitise de riches propriétaires terriens, McCabe devient fort logiquement un symbole qu'il faut défendre. On lui attribue généreusement un avocat, la loi et le pays sont pour lui. Mais pour Altman, la réalité ne s'encombre pas des belles valeurs et des symboles, le plus fort imposera toujours sa loi au détriment des convictions et des libertés.

Avec la chute de McCabe, c'est l'idéal de la libre entreprise qui s'écroule ; lorsque le profit est là, les petits se feront toujours manger par les plus gros, une loi de la jungle qui perdure encore. Pour donner une vraie ampleur à son propos si pessimiste mais ô combien réaliste, Altman joint la réalisation à la parole en quelque sorte, en plaçant son histoire dans un cadre désenchanté, loin d'un far-west glorieux et glorifiant.

Le cadre est très éloigné de l'image de ces vastes plaines sauvages magnifiées jusqu'alors dans les westerns. Ici l'environnement ne fait pas spécialement rêver, le soleil aride a laissé la place au froid, à la pluie ou à la neige, la ville n'est pas plus idyllique, avec sa boue et ses continuels chantiers. Le far west des pionniers apparaît ainsi bien peu romantique, avec ces hommes qui délaissent la religion pour se ruer dans les maisons de passe ou encore ceux qui délaissent la loi pour appliquer une violence gratuite, pouvant même tuer un gamin dans l'indifférence générale.

Cet ouest-là n'a rien de glorieux, d'ailleurs les héros n'y ont pas leur place. Altman a beau nous présenter McCabe comme le héros mystérieux au début du film, on réalise vite que les apparences sont trompeuses. Notre homme n'est pas plus raffiné qu'il n'est roi de la gâchette, il se montre bien au contraire peu subtil, sauvé dans ses affaires par sa partenaire Mrs Miller, et claquant des dents dès que le danger se fait sentir. McCabe est un héros pitoyable, bien loin de l'image qu'il veut donner.

Altman prend bien soin de démonter les stéréotypes du western pour nous proposer une vision d'un réalisme troublant. Son regard désenchanté se retrouve dans cette mélancolie si prégnante à l'écran, exalté par la photographie de Vilmos Zsigmond et les ballades de Leonard Cohen. En ce sens, l'introduction et la fin du film sont absolument magnifiques et d'une vraie puissance évocatrice. Là-dessus, le film est une vraie réussite. Dommage que le cœur de l'histoire manque d'ampleur, de véritable intrigue secondaire pour rendre l'ensemble véritablement passionnant. On aurait pu gagner en consistance avec l'histoire d'amour entre McCabe et Mrs Miller, mais celle-ci ne semble pas véritablement investie par Altman de peur, sans doute, d'atténuer son ambiance mélancolique.

Faute d'avoir un grand film, on a un tout de même un western de qualité, critique et désenchanté, ouvrant ainsi la voie à Cimino et à son chef-d’œuvre maudit, Heaven's Gate.

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le 22 mars 2023

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Procol Harum

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