Certains films, même imparfaits, vous donnent une envie irrésistible de les défendre. C’est le cas du premier long-métrage de fiction de Julien Samani. Bien sur on ne pourrait ne s’arrêter qu’à ses défauts, avec ce découpage un peu trop didactique (Samani a fait « ses premières armes » dans le documentaire), un budget étriqué par rapport aux ambitions affichées (effets visuels simplistes) ou encore quelques maladresses de scènes parfois mal fagotées.


Seulement voilà, une force incroyable traverse ce « Jeunesse ». Elle repose sur l’humain, dans la réalité comme dans la fiction. Cela passe par une belle candeur, celle d’un Samani passionné par son sujet et quelque part, il ne trahit jamais Joseph Conrad (le film est une adaptation de son roman). On y retrouve tous les ingrédients si chers à l’auteur, le parcours initiatique, l’envie d’ailleurs, un florilège d’hommes aussi virils que troubles et bien sur l’océan nourricier et impitoyable. Comme Philippe Ramos avec son « Capitaine Achab », Samani saisit la quintessence du récit, le transforme sans le trahir et nous en livre sa propre vision, dévoile son émoi de lecteur. Si la mise en scène n’apporte rien de transcendant, certaines scènes sont vraiment remarquables et le choix des plans assez judicieux. On ne sait jamais quelle est la part du réel ou celle d’une vérité arrangée (le tout est conté en voix off par un Zico âgé qui se souvient). La vraisemblance est ici impressionniste.


Zico, est de cette nouvelle espèce d’aventuriers qui ont fait les beaux jours de la littérature chez Conrad bien sur, mais aussi chez London ou encore Verne. Un baroudeur urbain qui rêve non pas de gloire ou d’argent, mais de « faire quelque chose de grand » dans sa vie. Kevin Azaïs est Zico. Regard incandescent, visage émacié et une allure générale d’oisillon tombé du nid, il incarne à merveille son personnage. Il lui apporte tous les contrastes. Touché par cette « fameuse » candeur, son combat parmi les hommes le poussera à se surpasser, son ambition à devenir quelqu’un de bien servant d’éteignoir à ses peurs, ses doutes.


Tout dans le film repose sur la symbolique. L’océan bien sur, en perpétuel changement et aussi insondable que les âmes. Le nom du bateau également « Judée » ou la promesse d’une terre promise, si présente ou pressante pour cet équipage de fortune. Car l’histoire ne se résume pas à celle de Zico. Il y a le capitaine fantôme (Jean-François Stévenin, quel bonhomme !) dont le passé sombre l’a plongé dans les ténèbres, José (Samir Guesmi géant !) le fidèle second, bon marin mais qu’on ignore, ou encore Moctar (l’attachant Lazarre Minoungou) un matelot que Genet n’aurait pas renié et quelques autres… Tous embarqués ont « la marée dans le cœur », tous sont des naufragés de la vie…


Si l’on atteint pas ici la psychologie et la haute maitrise de mise en scène d’un Pierre Schoendoerffer avec « Le crabe-tambour », on ne peut s’empêcher d’y penser. De même l’ambiance générale évoque « Le bateau phare » de Jerzy Skolimovski. Deux références non négligeables qui rappellent que « Jeunesse » à réussi son pari, faire un film marquant sur cet univers si particulier qu’est celui du marin, toujours empreint de fantasmes, de mystère mais visant l’essentiel, le cœur de la vie.


Très présente à l'esprit pendant le film cette chanson de Léo Ferré https://www.youtube.com/watch?v=uGbSYohHcio

Fritz_Langueur
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le 11 sept. 2016

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