L’année 1983 vit la sortie, à quelques mois d’intervalle, de deux films concurrents mettant en vedette le personnage de James Bond. Le premier, Octopussy, est le James Bond officiel, 13ème film de la franchise mettant en vedette Roger Moore, réalisé par John Glen (Rien que pour vos yeux) et produit par EON Productions et la MGM. Le second est Jamais plus jamais, un remake d’Opération Tonnerre (Thunderball) produit par la Warner et voyant le retour de Sean Connery dans le rôle du célèbre agent secret. Troisième film James Bond à n’être pas considéré comme canon (on se souvient du téléfilm Casino Royale de 1954, ainsi que de la parodie du même titre de 1967, avec David Niven dans le rôle de Bond), Jamais plus jamais s’impose alors comme un concurrent très sérieux à la franchise officielle et découle de plus de deux décennies de batailles juridiques et de développement.


Les origines du film remontent bien avant la production de James Bond contre Dr No. Ian Fleming créa le personnage de Bond à partir du roman Casino Royale et en fit un personnage rugueux et brutal, tout aussi espion qu’assassin. Ce n’est qu’avec l’apport de Kevin McClory, auteur et réalisateur, qui aida Fleming à développer sa première tentative d’adaptation sur grand écran avec le scénario Longitude 78 West (qui deviendra plus tard Opération Tonnerre), que le personnage de Bond devient plus charmeur et cynique, plus proche de celui qu’en fera pour le cinéma le scénariste Richard Maibaum. Le James Bond original d’Ian Fleming était un personnage humain et réaliste, à l’image des interprétations qu’en donnèrent Timothy Dalton et Daniel Craig. À tel point que la redéfinition du personnage dans Longitude 78 West amènera Ian Fleming a le surnommer le McClory’s Bond et à en pomper plusieurs éléments pour son propre roman, Thunderball. Un McClory’s Bond, tout en charme et en cynisme, et qui inspirera beaucoup les interprétations de Sean Connery et de Roger Moore. Alors que la saga littéraire se voit adaptée au cinéma par Richard Maibaum et les producteurs Harry Saltzman et Albert Broccoli, Ian Fleming craint de voir sa création lui échapper et évince McClory du processus de production. L’adaptation de nombreux éléments du script de Longitude 78 West pour le scénario d’Opération Tonnerre, quatrième film de la franchise, déclenche vraiment les hostilités. McClory fait un procès à Fleming et aux producteurs et obtient d’eux les droits intégraux sur l’histoire et les éléments ayant inspiré le film Opération Tonnerre. Cela comprend l’idée du vol des ogives nucléaire, de la clinique de remise en forme, des deux Bond girls du film. McClory est également considéré comme le co-créateur du personnage de Blofeld et de l’organisation secrète SPECTRE (une extrapolation de l’organisation soviétique SMERSH, évoquée dans les premiers romans de Fleming) qu’il avait imaginés dans son script Longitude 78 West, bien avant la production de James Bond contre Dr No. Mais si McClory récupère ses droits sur Opération Tonnerre, il a l’obligation de ne pas produire de projet concurrent pendant une dizaine d’années. En 1978, à l’époque de Moonraker, Albert Broccoli et ses associés sont inquiets. Ils apprennent que McClory, désormais tout à fait dans son droit, travaille sur un projet de James Bond concurrent et que Sean Connery serait partant pour y reprendre le rôle. L’acteur écossais ayant pourtant juré à l’époque des Diamants sont éternels de ne plus incarner le personnage, sa femme lui aurait lancé ensuite « Never say never again ». La phrase séduit l’acteur ainsi que McClory qui la conservera comme titre de cet opus dissident. La réalisation est confiée à Irvin Kershner qui vient de triompher avec son Star Wars, L’Empire contre-attaque. Ayant décliné la réalisation du Retour du Jedi par crainte d’y revivre un tournage trop compliqué, le futur réalisateur de Robocop 2 vivra pourtant avec Jamais plus jamais un de ses tournages les plus difficiles, entre un Sean Connery pas toujours sur la même longueur d’onde que lui et une jeune Kim Basinger avec qui il ne s’entend pas. Soutenu par Connery, le réalisateur entrera même en conflit avec le producteur Kevin McClory en cours de tournage sur des éléments qu’il juge trop proches du film de Terence Young de 1965. Entre ces désaccords artistiques, une actrice, Barbara Carrera, tellement fan de Connery qu’elle refuse de se faire doubler pour sa scène d’amour avec lui (il semblerait qu'elle aurait aussi proposé de faire réellement l'amour avec Connery devant la caméra), et un incident d’entrainement voyant Connery se faire briser le poignet par un coach un peu trop arrogant (un certain Steven Seagal) et qui entraine la suspension du tournage, l’ambiance n’est pas au beau fixe. Le film est pourtant bouclé dans les temps et sort quelques semaines après le James Bond officiel, Octopussy. Si Jamais plus jamais fait un meilleur démarrage au box-office, il remporte finalement 30 millions de dollars de moins qu’Octopussy en fin d’exploitation en salles. McClory tentera par la suite de produire un nouvel opus intitulé Spectre mais en abandonnera le développement. Le nom de la terrible organisation de Blofeld reviendra totalement dans l’escarcelle des Broccoli trente ans plus tard et ceux-ci s’empresseront d’en faire usage en rebaptisant l’organisation Quantum dans le médiocre Spectre de Sam Mendes.


Bien avant ça, Jamais plus jamais fut donc l’occasion de retrouver une dernière fois Sean Connery dans son rôle le plus mythique. Et il faut bien avouer qu’à ce grand jeu des comparaisons, Connery remporte aisément le match sur Moore. D’une part, parce que le James Bond de Connery, malgré sa perruque, est toujours plus crédible, charismatique et animal que celui, tout en dérision, de Moore. Et d’autre part, parce que Jamais plus jamais est autrement plus réussi qu’Octopussy, au point d’être un des meilleurs films consacrés à 007, même si non officiel. Plus qu’un remake d’Opération Tonnerre, il s’agit surtout d’une adaptation du scénario original de Longitude 78 West, dont certains éléments avaient été abandonnés dans le film de Terence Young.


Dès son exposition, le ton est donné. Échouant à un test d’aptitude, Bond est jugé "fatigué" par M (Edward Fox) qui l’envoie en cure dans une mystérieuse clinique de remise en forme. L’espion, désormais jeune quinquagénaire, y découvre la venimeuse Fatima Bush et doit ensuite faire face à un tueur a priori invulnérable. Un véritable colosse en lequel les cinéphiles reconnaitront l’acteur-catcheur Pat Roach, lequel venait de donner du fil à retordre à Indiana Jones dans la scène mythique du nazi boxant avec Indy au pied de l’avion dans Les Aventuriers de l’arche perdue et en jouant le sherpa dans la scène de la taverne du même film. Aujourd’hui méconnu, cet acteur fut pourtant réemployé dans les deux Indiana Jones suivants pour deux nouveaux rôles, celui du chef des gardes dans Indiana Jones et le temple maudit et celui, plus anecdotique, d’un officier de la Gestapo (coupé au montage) dans Indiana Jones et la dernière croisade. Il jouera également le Général Kael (le vilain au masque de mort) dans Willow. Mais revenons à Jamais plus jamais. Ce mauvais moment passé, Bond doit empêcher un certain Maximilian Largo, un homme à la solde de Blofeld (Max Von Sydow, dont la majeure partie des scènes ont été coupées au montage) et du Spectre, de faire sauter deux têtes nucléaires pour faire chanter l’OTAN. L’espion aura fort à faire avec cet antagoniste incarné par l’acteur autrichien Klaus Maria Brandauer et une tueuse, Fatima Bush, incarnée par la ravissante Barbara Carrera, seule Bond girl récompensée d’un Golden Globe, et qui refusa le rôle-titre d’Octopussy simplement pour avoir l’opportunité de tourner avec Sean Connery. Lancée aux trousses de James Bond, la perversité de cette antagoniste s’éloignait de la banalité de la méchante Fiona Volpe dans Opération Tonnerre et semblait plutôt annoncer le personnage de Xenia Onatopp dans Goldeneye.


Porté par une mise en scène classieuse (Irvin Kershner est un cinéaste clairement sous-évalué) et une direction artistique bien plus sobre que celle d’Octopussy (souvenons-nous du harem de Bond girls, du palais d’Octopussy et de ce superbe accoutrement de crocodile revêtu par Bond/Moore), Jamais plus jamais accuse néanmoins son âge (la séquence kitschouille de la partie de jeu vidéo) et pâtit de quelques longueurs. Il n’en garde pas moins un charme certain, renforcé par quelques séquences mémorables (le pugilat dans la clinique, la course-poursuite centrale en moto, le saut à cheval…), dont la baston du début entre Bond et le colossal Pat fut d’ailleurs la première scène d’un James Bond que je vis étant enfant. Une autre des meilleures scènes du film voit d’ailleurs Bond tenu en respect par une tueuse érotomane et narcissique (en veste et pantalon bouffants très… démodés), si malade de jalousie qu’elle exigera de Bond qu’il déclare qu’elle fut le meilleur coup (la meilleure Bond girl ?) de sa vie. Et comme on sait que le Bond de Connery a toujours été aussi charmeur que menteur, il profitera d’un simple stylo-gadget pour ne pas l’avoir à l’écrire. Sacré James…

Buddy_Noone
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le 4 sept. 2023

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