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Avec la sortie de Tenet pour le 26 août prochain, continuons notre incursion chez Nolan avec Insomnia. Première collaboration avec la Warner suite au succès de Memento, le film ne brille malheureusement pas par son ingéniosité…



Insomnia, remake du métrage norvégien du même nom, raconte l’histoire de l’enquêteur Will Dormer (Al Pacino), un policier désabusé, envoyé en Alaska pour enquêter sur le meurtre d’une adolescente. Alors qu’il est proche de capturer le coupable, nommé Walter Finch (Robin Williams), il tue par mégarde son coéquipier, laissant échapper le meurtrier. Mais ce dernier a été témoin de la scène et fera chanter Will pour couvrir ses arrières. La culpabilité et les journées sans nuit d’Alaska empêcheront l’enquêteur de dormir, perdant petit à petit pied…


Insomnia a tout du film de commande dont l’embauche de Christopher Nolan a pour but de surfer sur le succès de Memento. Seul projet de sa filmographie sur lequel il n’a pas été scénariste, les producteurs ont cru sentir le potentiel du monsieur pour la réalisation de polar. Le fait est que si Nolan n’est pas derrière le scénario, il offre une œuvre bien moins inspirée.


Mais le cinéaste avait avant tout pour but avec ce projet qu’on lui ouvre les portes de la grande major et son succès commercial ainsi que critique de l’époque lui donnera raison. Sans Insomnia, il y a fort à parier que la carrière suivante de Christopher Nolan n’aurait jamais existé, et nous pouvons remercier le film pour cela.



Un suspens rachitique



Hormis cela, pas grand chose à se mettre sous la dent avec ce métrage dont l’effet est presque inverse à son titre. Le déroulé de l’intrigue policière est on ne peut plus classique et son récit d’une linéarité assommante. Nolan excelle dans ses histoires par leur morcellement et la gestion des révélations. Ici, hormis une scène flashback ponctuelle au sein de la narration, le récit suit une route toute tracée.


Et cela n’entraîne donc aucune surprise, les seuls retournements étant spoiliés dans le synopsis. L’identité même du tueur, mystère centrale du film policier, est très vite révélé, baissant d’un coup l’intérêt de l’intrigue. Évidemment, ce point (déjà présent dans la version originale) a pour but de prendre à revers les codes et a amené la confrontation/coopération de Will et du meurtrier.



Insomnia, un potentiel mal exploité



Une dualité intéressante sur le papier mais qui se révèle au final très convenu dans ses événements. Il aide le meurtrier avant que tout se retourne contre lui et rien de plus. On retrouve la manipulation cher à Nolan mais qui n’est aucunement bien exploité dans l’histoire. Conséquence d’un scénario qui maîtrise mal sa gestion de l’information et qui semble parfois oublier que nous n’avons pas à l’écran l’esprit des personnages.


Par exemple, après un interrogatoire de Finch mené par Will et sa collègue Ellie (Hilary Swank), l’enquêteur complice se précipite dans l’appartement d’un faux suspect pour y retrouver une arme que Walter a caché afin de s’innocenter. Cependant l’arme était de base détenue puis cachée par Will et à aucun moment nous avons vu Finch la retrouver. Donc lorsqu’il se précipite dans l’appartement, nous ne comprenons pas l’enjeu et la tension de la scène. Et ce n’est qu’après coup, au détour d’une ligne de dialogue, que nous apprenons que Walter a bel bien fouillé la chambre d’hôtel de l’enquêteur.


Mais là où le bas blesse, c’est à travers toute la morale qui ne fonctionne pas. Le parcours et les derniers mots de Will tendent à nous dire “en tant que policier, il faut rester droit”. Cela est développé dans une sous-intrigue concernant le passé sombre (la scène flashback) du policier qui semblerait-il, aurait fait des malversations.


Cependant, son passé est révélé dans le dernier acte du film, la problématique et le parcours du personnage sont donc posés et bouclés quasiment à la suite. Un background bonus par rapport à la version Norvégienne qui aurait été le bienvenue s’il avait mieux géré.



Norvège vs Amérique



Et à titre de comparaison, le prisme Hollywoodien se fait lourdement sentir. Là où le personnage était beaucoup plus ambigu (voir carrément malsain) dans le film original; la Warner a passé un petit coup de polish histoire de ne pas déranger le public américain, affaiblissant un peu la dualité de l’œuvre. Mais nous pouvons noter tout de même que le scénario de cette version reste un peu mieux construit que son homologue scandinave.


En effet, l’impossibilité de Will de prétexter avoir tuer par erreur son collègue est justifié par la sous-intrigue dans laquelle il est dans le viseur de la police des polices. Là où dans la version norvégienne, son silence avait pour seule justification le postulat du scénario.



Nolan, pas l’homme de la situation



Nolan n’est pas un réalisateur à l’esthétique très marqué, optant plus pour des compositions de cadre réaliste. Dès lors, la thématique de l’insomnie n’est absolument pas mise en valeurs par sa réalisation pragmatique, exception faite de deux moment ingénieux mais beaucoup trop court où il joue avec des différences brutales de netteté au sein d’un même plan pour signifier l’impossibilité du personnage à se concentrer. La photographie se contente du stricte minimum pour mettre en scène ce ciel polaire constamment de jour, ne jouant jamais sur la surexposition.


Lorsqu’on voit la manière dont Midsommar a parfaitement mis en image quelques années plus tard les journées sans fin, on constate qu’Insomnia est passé à côté d’un gros potentiel visuel. A vrai dire, au sein même de l’histoire l’insomnie de Will n’offre pas vraiment de ressort scénaristique. Elle est juste là pour permettre à Pacino de jouer une moue exténuée. La musique n’est pas non plus là pour rattraper le tout, puisqu’elle est quasiment absente et effacée.


On se rend vite compte qu’avec un tel concept, Nolan n’était pas le réalisateur idéal pour le projet. Un cinéaste au style beaucoup plus sensorielle et moins terre à terre aurait été approprié pour embrasser complètement les possibilités cinématographiques de l’insomnie.



Pas catastrophique non plus



Tous les défauts et maladresses étant exposés, le film se regarde sans pour réel déplaisir, de par son postulat tout de même accrocheur et par son casting charismatique. Voir Robin Williams prendre le contre-pied de ses rôles habituels est toujours un plaisir tandis que son alchimie avec Al Pacino irradie l’écran. Et si Nolan ne sublime jamais de part sa réalisation, l’efficacité qu’on lui connaît permet de maintenir l’attention du spectateur.


Nous retiendrons donc d’Insomnia un film trop classique sans pour autant être désagréable mais passant clairement à côté de tout son potentiel. Au sein de la filmographie de Christopher Nolan, le métrage dénote par l’absence de ses gimmicks donnant tout le sel de son cinéma. Il est une œuvre de commande impersonnelle qui aura au moins eu le mérite d’ouvrir les portes d’Hollywood à son réalisateur. Et de gagner la confiance des producteurs pour des projets suivant bien plus ambitieux, qui bousculeront l’industrie du blockbuster…

Cinédreamer
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le 16 août 2020

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