Bien qu’il soit lui-même d’origine polonaise, c’est la première fois que le réalisateur Pawel Pawlikowski pose sa caméra dans son pays natal, ses films précédents ayant la nationalité britannique ou française. C’est aussi sa première œuvre en noir et blanc en format 4/3 avec un travail remarquable sur les cadres et la lumière, en dépit de la défection, pour motifs médicaux, de Rysrard Lenczewki, chef opérateur attitré du réalisateur depuis une dizaine d’années.

L’histoire d’Anne, jeune nonne prête à prononcer ses vœux découvrant, lors d’une visite à sa tante Wanda, qu’elle s’appelle en fait Ida, est juive et orpheline, se situe au début des années 60, période réformatrice qui précède la vague antisémite de la fin de la décennie. Le cinéaste s’intéresse d’abord à une histoire individuelle qui entre en collision avec la grande histoire, c’est-à-dire le sort réservé aux Juifs par des autochtones majoritairement catholiques et, plus généralement, le rapport particulier et séculaire entretenu par ces derniers avec la religion. La rencontre entre Anna (Ida) et Wanda est ainsi celle de deux univers presque antagonistes : en entrant au couvent et en projetant de devenir religieuse, Ida incarne une des composantes principales de l’identité nationale, alors que Wanda, juge et communiste, ancienne Procureur de la République très active durant les procès staliniens, personnifie la liberté et le désir d’une vie hédoniste (sexualité débridée, alcool). Ce qui, au final, constitue aussi une carapace pour les blessures et les drames.

Chacune à leur façon, la nièce et la tante sont pétries de contradictions et de paradoxes. Une ambivalence qui fait aussi cohabiter la spiritualité, notamment dans le cadrage des personnages dans les angles inférieurs laissant au-dessus de leurs têtes un large espace à signification spirituelle évidente, et la sensualité avec l’utilisation du jazz (Coltrane). L’atmosphère générale est donc minimaliste au point de faire regretter la brièveté de l’ensemble, qui abandonne probablement trop vite la tragédie des parents de la jeune Ida. En choisissant délibérément l’épure et l’ellipse, Pawal Pawlikowki signe un objet esthétiquement irréprochable, terriblement triste et mélancolique, n’offrant aucune échappatoire. Comme si le passé n’en finissait pas de peser et d’empêcher le bonheur et la sérénité.
PatrickBraganti
9
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le 12 févr. 2014

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