Des cendres sur Terre, lentement mais surement...

Indéniablement, Kore-Eda est l'un des grands cinéastes du monde de l'enfance. Rares sont ceux qui, comme lui, ont su filmer avec autant de justesse et d'émotion les petits et grands bouleversements qui jalonnent la vie durant ses premières années. Rares sont ceux qui ont réussi à rendre compte avec autant de poésie notre monde, bien souvent cruel, vu à travers les yeux d'un gamin. Et puis, il est inutile de préciser, qu'il y a peu de réalisateurs qui ont pu tirer le meilleur de leurs acteurs en culotte courte, comme c'est le cas ici avec les frères Maeda. Pourtant, on ne peut pas dire que son cinéma soit baigné d'une atmosphère excessivement doucereuse et sucrée, bien au contraire : perte, abandon, lâcheté ou immaturité des adultes, et bien évidemment la mort, sont autant de fléaux qui viennent s'abattre en terre de l'enfance et font grandir, un peu plus vite que prévu, ses occupants. Le sentiment de désillusion, bien souvent latent, va même atteindre son paroxysme avec Nobody Knows ; film dans lequel l'appart familial devient le refuge des enfants face au dangereux monde extérieur. Si le propos est fort, l'ambiance y est sans doute trop étouffante. Avec I Wish, ça va être tout le contraire : Kore-Eda reprend les bases et les thèmes de son film de 2004, pour développer cette fois-ci un récit tendre, joyeux et insouciant, dans lequel le monde extérieur n'est plus perçu comme une menace à fuir, mais devient un immense terrain de jeux que les enfants vont prendre plaisir à explorer.

Pourtant, vu de loin, le monde des morveux de I Wish ressemble à si méprendre à ceux de Nobody Knows : on y retrouve une famille disloquée qu'on souhaite pouvoir recomposer, tout comme on trouve des adultes dépassés par les événements (la mère) ou totalement immatures (le père). Mais cette fois, l'optimisme est de rigueur et le cinéaste va tenter d'en rendre compte avec une infime justesse en calquant son récit, et sa mise en scène, sur l'hypersensibilité de l'enfant face au monde qui l'entoure. Pour lui, l'objectif n'est pas de travestir la réalité perçue avec le regard attendri de l'adulte, mais de nous l'exposer de la manière la plus simple, en respectant les croyances inhérentes à cet âge et notamment le pouvoir de la "pensée magique".

Au regard de l'intrigue, on pourrait facilement considérer I Wish comme un banal film d'aventures pour gosses comme on en voit bien souvent sur les écrans. Or, si le film reprend les codes de ce type de production, c'est tout simplement pour mieux les contourner. Car si aventure il y a, elle se déroule uniquement au petit trot et à hauteur de môme. Très vite la pseudo intrigue autour de la recomposition familiale est oubliée, tout comme l'objectif de la quête qui n'est qu'accessoire. Kore-Eda ne s'intéresse qu'a une chose : nous faire ressentir la découverte du monde telle qu'elle est perçue par un gamin d'une dizaine d'années.

En fait, tout est dit dès les premières minutes, lorsqu'un volcan recrache un nuage de cendres dans l'atmosphère. Si le phénomène impressionne les enfants, ceux-ci sont surtout étonnés par le calme ambiant et par la relative indifférence affichée par les adultes. Les images retranscrivent à merveille la sensibilité exacerbée des jeunes personnages, en opposant la saine émulation qui agite leur petit groupe avec la paisible vision d'un paysage baigné d'une douce lumière. Kore-Eda délaisse tout discours explicatifs et met en place une mise en scène totalement immersive : la caméra reste collée aux chaussures colorées afin de rendre compte de la difficulté de chaque pas, l'objectif cadre au plus près le visage des acteurs afin d'épier la moindre réaction, quant aux jeux sur les luminosités, ils reflètent avec finesse leur inquiétude ou leur émerveillement. On est constamment à leurs côtés, au milieu du groupe, l’immersion est totale. Ainsi, le moindre micro-événement, aussi anodin soit-il, prend une proportion démesurée à l’écran : traverser un parc ou une rue relève du périple, une main qui se pose sur l'épaule devient une vive agression, la simple vue d'un gâteau traditionnel met nos papilles en éveillent, la vision des jambes "nues" de la jolie bibliothécaire se transforme en sommet d'érotisme.

Seulement, si la dimension sensitive de l’œuvre est parfaitement réussie, cela se fait au détriment du rythme voire même de l'intrigue. Il n'est pas toujours facile de s'adapter au tempo imposé par Kore-Eda et ses scènes dilatées à l'extrême, notamment dans la première partie, peuvent mettre sur le carreau le spectateur peu attentif. C'est sans doute la principale limite de la démarche entreprise par le cinéaste, mais c'est le prix à payer pour nous glisser dans la peau d'un gamin de dix ans et espérer, un instant durant, que le souffle engendré par le croisement de deux trains ait quelque chose de "magique". C'est le prix à payer pour croire avec lui que ce monde qui l'entoure, et qu'il ne connaît pas, soit la promesse d'un bel avenir. Et c'est, bien évidemment, le prix à payer pour rendre compte, avec ferveur, de la subtile beauté du monde de l'enfance afin, qu'à notre tour, nous souhaitions que ces mioches grandissent mais pas trop rapidement. Rien ne presse en effet, ces satanées cendres n'ont pas encore touché le sol, ils ont encore le temps de profiter du paysage.

(7.5/10)

Créée

le 7 déc. 2022

Critique lue 70 fois

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Procol Harum

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