I Am Not Your Negro
7.7
I Am Not Your Negro

Documentaire de Raoul Peck (2016)

Martin, Medgar et Malcolm mais peut être aussi et surtout Baldwin.
« Créer de l'histoire avec les détritus de l'histoire » disait Benjamin, partir de la souffrance corporelle qui se lit dans chaque image, dans chaque phrase de James Baldwin, qu'elle émane de sa voix douce et souffrante, ou terriblement incarnée par Joey Starr. L'Amérique, ce sont cette photographie de Dorothy Cowns, la fureur de Dieu qui pardonne le meurtre mais pas ces écoles mixtes, les cercueils de Medgar, Malcolm puis Martin jusqu'à ceux de Michael et Eric. Rien ne sera perdu pour l'histoire ou plutôt rien ne devra désormais être perdu, c'est depuis cette trace que l'histoire doit être lue.


Mais ce désormais, n'était-il déjà pas celui qu'Adorno formulait comme le nouvel impératif catégorique ? « penser et agir en sorte qu'Auschwitz ne se répète pas, que rien de semblable n'arrive ». Ne nous y trompons pas, l'impératif n'a rien de discursif, il doit se faire chair, « le moment corporel annonce à la connaissance que la souffrance ne doit pas être, que cela doit changer ». Baldwin le dit explicitement, l'apathie, l'ignorance, la mort émotionnelle sont la cause de cette violence. Tant que cette Amérique refusera de voir cela, la marche triomphale de l'histoire continuera de fouler ce qui restera alors de « petites fleurs écrasées sur le bord du chemin ». « Pour les opprimés, l'exception fait la règle » disait Benjamin, le préjudice ne saurait être amorti par les avancées du progrès, Baldwin le montre dans toute sa cruauté, cette Amérique a prospéré par l'esclavage, et reste incapable de comprendre tant la jouissance de cette prospérité que son coût.


C'est la formulation du mensonge de l'humanisme, celui de l'autorité morale de l'Occident : « l'histoire des noirs en Amérique, c'est l'histoire de l'Amérique et ce n'est pas une belle histoire ». Reste à exposer cette insupportable unité d'une histoire chargée de masquer les souffrances qu'elle charrie et son échec.


" L'idée de bonheur enferme celle de son salut, inéluctablement. Il en va de même pour l'idée de passé. L'image du salut en est la clé. N'est-ce pas autour de nous-mêmes que plane un peu de l'air respiré jadis par nos défunts ? N'est ce pas la voix de nos amis que hante parfois un écho des voix de ceux qui nous ont précédé sur terre ? " - Thèses sur l'histoire



Cette rédemption que réclame le passé pour Benjamin semble être la tâche que prend en charge Baldwin, achevant ce brillant récit, « il ne tient qu'au peuple américain de décider ou non, de regarder en face et d'embrasser cet étranger qu'ils ont si longtemps calomnié ; si je ne suis pas un nègre, il reste à vous demander pourquoi vous l'avez inventé ».

simon_t_
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le 28 avr. 2017

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