Film culte des années 90, réalisé par Djibril Diop Mambety, Hyènes est une œuvre incontournable du cinéma africain. Avec son scénario racontant la vengeance  d'une vieille dame de retour à Colobane, petit village du Sénégal, le film s'apparente à une fable  satirique qui reprendrait les codes du western. Sauvé et miraculeusement restauré à l'initiative de son producteur, Pierre-Alain Meier, Hyènes est une belle curiosité à redécouvrir.


Ça commence comme un western


On retrouve dans Hyènes plusieurs motifs inspirés du western. Dès la première scène, les villageois, visiblement misérables, se regroupent à l'épicerie-café du sympathique Draman. Une sorte de saloon où chacun vient profiter de la générosité du bistrotier. Le vieux Draman n'est en effet pas très regardant sur les crédits au grand dam de sa tchipeuse d'épouse. Le calme qui règne à Colobané ne va pourtant pas durer. Car Lingueré Ramatou, disparue depuis une éternité, est de retour. Celui qu'elle vient chercher pour se venger n'est autre que Draman, qui trente ans plus tôt l'a trahie et répudiée. Si l'arrivée en train de Ramatou est comme un clin d’œil à Il était une fois dans l'Ouest, l'errance de Draman à la recherche d’hypothétiques soutiens rappelle Gary Cooper dans Le Train sifflera trois fois. La maîtrise du cadre et une excellente B.O. confortent également cette impression d'être dans un western.


Ça continue comme une fable


Le scénario reprend l’arc narratif de La Visite de la vieille dame de Dürenmatt. Comme dans cette  pièce, Hyènes met en accusation le pouvoir de l'argent et la cupidité des hommes. Car la vieille femme revenue dans son village est richissime, plus riche que «la Banque mondiale». Une chance inespérée pour les villageois, surtout quand la vieille annonce qu’elle va arroser la communauté de ses milliards. Seul hic, elle réclame en retour la tête du plus populaire des habitants. Les notables comme les villageois ont beau s'indigner d'une telle demande, la tentation va peu à peu exercer son pouvoir de nuisance. Avec la manne financière ce sont toutes sortes d'équipements électro-ménagers, symboles de la société de consommation à l'occidentale, qui tombent du ciel. Chacun espérant sa part de confort, c'est à une mascarade joyeusement hypocrite que l'on assiste.


Ça finit comme une tragédie grecque


Si Draman est le héros pathétique de cette tragicomédie, c'est surtout Lingueré Ramatou qui fascine. Mi sorcière mi sphinx-cyborg avec sa main et sa jambe en or, elle observe les villageois se compromettre les uns après les autres. Car pour celle qui a souffert dans son âme et son corps, il n'y a pas de demi-mesure. "Le monde a fait de moi une putain, je veux faire du monde un bordel" assène-t-elle au maire venu implorer sa clémence. En réalité personne, ni le prêtre, ni l'instit, ni sa propre femme ne résistent à la fièvre acheteuse. Diop Mambaty peint le tableau d'une société où la fraternité s'effrite au profit des égoïsmes. Le montage en parallèle avec des scènes de bêtes sauvages et le titre lui-même, rappellent que de la société des hommes à la jungle impitoyable, il n'y a qu'un pas. Ou du moins quelques frigos et ventilos.


8/10


Critique parue sur le MagduCiné

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le 11 déc. 2022

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Theloma

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