"Le monde a fait de moi une putain, je ferai du monde un bordel."

Ce film sénégalais de Djibril Diop Mambety, adapté d'une pièce de théâtre suisso-allemande et transposée dans un référentiel ouest-africain, est hypnotisant à plus d'un titre. La photographie magnifique ferait presque oublier la pauvreté des habitants de Colobane, un petit village perdu au milieu du Sahel, écrasé par la chaleur et la poussière du désert. On est plongé dès le début dans un univers aux contours étranges, à la lisière du conte, dans lequel les griots annoncent le retour de Linguere Ramatou comme une ancienne prophétie. Trente ou quarante ans après son bannissement, elle serait devenue multi-milliardaire ("plus riche que la Banque mondiale !") et souhaiterait revenir là où elle a grandi. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans le village, et déjà la fin de la pauvreté se reflète dans les yeux des habitants.


Sauf qu'à son arrivée, Linguere Ramatou affiche un ressentiment très clair à l'encontre d'une personne, et pour cause : son ancien amant, Draman Drameh, n'avait pas reconnu son enfant. Après avoir été chassée en raison de sa condition de prostituée, voilà qu'elle revient assouvir sa vengeance et réclamer la tête de Draman Drameh en échange d'une fortune. Ce sera le point de départ d'une lente chronique sur le pouvoir corrupteur de l'argent et sur la revanche des opprimés. Attirés par l'odeur de l'argent, prisonniers de leur misère, les habitants sombreront les uns après les autres dans la lâcheté et se retourneront contre leur ami de toujours. En résulte un conte moderne très curieux sur une romance contrastée, empreint de cruauté mais raconté à travers le filtre de la satire (le point culminant étant la fête où sont vendus des produits électroménagers) pour rendre compte d'un étonnant consumérisme africain. Sur fond de domination économique (Linguere ira jusqu'à dire "le monde a fait de moi une putain, je ferai du monde un bordel") et de trahisons, "Hyènes" se termine néanmoins sur une note étonnamment apaisée, comme si le ressentiment avait disparu.

Morrinson
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le 27 juin 2020

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