Film-référence de tout un public amateur de musique électronique, Human Traffic est de ces ambitieux projets melting pot qui tentent en une petite centaine de minutes de raconter à la fois une époque, une génération, un lieu (Cardiff) et, surtout, « l’urgence techno », sorte de mouvement post-punk qui s’en remet à la fête et à la désintégration cérébrale (comprendre : l’ecstasy) pour échapper la suffocante Réalité. Justin Kerrigan choisit une bande de potes (Jip, Koop, Nina, Moff et Lulu), leur laisse les clés de la narration et en fait ses témoins ; chacun est caractérisé par un simple surnom, un quotidien frustrant (l’une quitte son job en fast-food, l’autre se rêve célèbre DJ…), une situation familiale difficile. Ils sont tellement génériques qu’ils en deviennent omniscients ; ils peuvent alors (littéralement) raconter à la caméra les rouages du monde du clubbing dans les années 1990.
Si la nécessité de l’évènement scénaristique affaiblit le film, ce dernier ne manque heureusement pas de laisser respirer ses personnages quand la caméra s’écarte et que les dynamiques du groupe peuvent enfin s’incarner ; ils prennent vie précisément aux moments où il ne se passe pas grand-chose, quand la musique n’accompagne pas une action mais une situation. Cette sociabilité est autant celle du partage que du remplissage, il faut occuper l’espace, avoir suffisamment confiance en ses camarades pour parler quitte à ne rien dire, façonner le terrain de confiance sur lequel on partagera ses trips et son ivresse pour combattre la paranoïa, identifiée ennemi public numéro 1 de la prise de drogues pendant tout le film.
C’est finalement dans sa séquence introductive que s’opère la meilleure articulation entre documentaire, construction des personnages et bande-son omniprésente : les cinq amis se présentent face caméra, et leurs vidéos sont entrecoupées par des grandes lettres blanches sur fond noir écrivant leurs noms respectifs, comme si l’on présentait un groupe de rap. La musique atmosphérique de Matthew Herbert et Robert Mello traverse ces cinq clips et devient dès les premières minutes le sixième personnage, le trait d’union, le dénominateur commun. Car ce n’est pas en tissant des liens romantiques et des conflits familiaux que Human Traffic embrasse son sujet, mais bien en faisant vivre musique et personnages dans un seul et même mouvement.
critique publiée dans la revue Tsounami, disponible en ligne et en papier : https://tsounami.fr/acheter-tsounami/