lorsque le réalisateur empiète sur le scénariste

Le pitch : Lila une femme à la pilosité exacerbée, est partagée entre un retour à la nature (à tous les sens du termes) ou se fondre dans la masse en masquant son identité ; elle rencontrera le Dr Nathan Bronfman, un scientifique chasseur de l’instinct, traumatisé par la rigidité de ses parents et obsédé par la transmission des bonnes manières, dans le but de « changer la face du monde ». En parallèle, Puff, un enfant sauvage devenu adulte, sert de cobaye à Bronfman, qui tente de le civiliser de force. Au milieu de tout cela, Nathan se lie d’affection pour son assistante, la « française » Gabrielle…


Bien connaître la filmo des deux auteurs Jonze et Gondry (voir nos articles ICI ou ) nous permet de rapprocher et comparer Dans la peau de John Malkovich et HUMAN NATURE, leurs deux adaptations respectives des scénarios de Charlie Kaufman ; cela nous permet de repérer le problème majeur de HUMAN NATURE : Michel Gondry.


Photo du film HUMAN NATURE
Tim Robbins est Nathan Bronfman, mélange (raté) des personnalités de Charlie Kaufman et Michel Gondry


Contrairement à Craig, Maxine et Lotte exprimant parfaitement dans Dans la peau de John Malkovich, les facettes névrosées de Kaufman, on perçoit particulièrement dans HUMAN NATURE, la personnalité du réalisateur Michel Gondry exprimée à travers les protagonistes créés par Charlie Kaufman ; une binarité de caractères nuisant à leur crédibilité.


C’est dommage car le script de Charlie Kaufman développait quelques aspects entraperçus dans celui, programmatique, de Dans la peau de John Malkovich ; l’auteur nous y expliquait son rapport aux femmes, à l’amour ainsi qu’à la sexualité en utilisant des métaphores exacerbées de ces notions. Si certaines sont plus reconnaissables et évidentes que d’autres (le triangle amoureux, la reproduction du schéma familial), d’autres comme l’image d’un symbole de la féminité et de l’instinct à travers une femme à la pilosité abondante ou le thème de l’homme-singe à civiliser métaphore de l’enfant à éduquer, fascinent par la simplissime puissance de leur allégorie. Seulement plutôt qu’une adéquation entre réalisation et scénario, on ressent plutôt un conflit entre les visions de deux auteurs – l’une trop visuelle, l’autre forcément scripturale – alors qu’ils partagent pourtant les mêmes obsessions.


Gondry par exemple, fait passer visuellement les enjeux du personnage de Lila (émancipation, identité)… Mais le résultat est plutôt qu’il fait de Patricia Arquette un fantasme lorsqu’elle aurait pu être une icône – comme le script le suggérait à travers une certaine mise en abyme. En face d’elle, Gabrielle/Miranda Otto et sa frenchtittude typiquement Gondry-enne, ne sont pas un symbole de contrôle subtil comme semblait l’avoir prévu le script (le plan final) mais restent confinées à cet aspect exotique et séducteur absolument artificiel. Le féminisme filtrant à travers ces deux figures de l’émancipation et de la quête d’identité par rapport à l’Homme se retrouve noyé dans une représentation plus superficielle que profonde.


Nathan Bronfman, l’homme entre les deux femmes, est également partagé entre les deux personnalités de Kaufman et Gondry, control freak névrosés et consommés par le désir. Mélange des physiques des deux artistes, ses attitudes et décisions reflètent quant à elles leurs peur/fascination/incompréhension/respect pour La Femme, les obsessions quant à l’héritage et à la transmission. Mais là encore, Tim Robbins ne trouve jamais le ton juste entre les hésitations, le charisme, l’aura cultivée et l’intelligence en proie à l’instinct.


Ces trois personnages étaient en théorie à même de fournir de nombreuses pistes d’interprétations, mais ils ne parviennent pourtant jamais à l’équilibre. Ni entre eux, ni face au véritable vecteur d’intérêt du film : Puff (Rhys Ifans).
À l’image comme dans le script, Puff est ce personnage vierge de toute influence. Il servira donc, comme John Malkovich en son temps, de réceptacle à névroses, à complexes et à fantasmes. Non seulement ceux des autres protagonistes, mais également ceux de Gondry et de Kaufman.


Grâce à ce personnage assez troublant, Kaufman et par extension Gondry nous transmettent leurs interrogations quant à la parentalité et la transmission. La relation entre Nathan et ses parents, puis celles avec les femmes (intellect, affect, sexe) rejaillissent dans ce que Nathan transmet à Puff – le fils de substitution. Puff, dont la personnalité apparaît comme un mélange d’instincts, de valeurs socio-culturelles et d’obsessions, finira humainement détestable, ne discernant ni bien, ni mal, accro à toutes sortes de drogues – sexe, affection, confort, alcool. Ce personnage exprime la peur fondamentale de tout parent : malgré la volonté de modeler notre descendance à notre image, l’excès de contrôle mène forcément à des dérives ; la responsabilité envers nos enfants passe par un certaine domination de notre propre psychologie… Mais qu’en est-il si l’on est en premier lieu, particulièrement névrosé ?
L’évolution de Puff est de fait le vrai cœur narratif et psychologique du film, l’aspect le mieux servi par le script, les dialogues et par le réalisateur.


Question mise en scène, si Dans la peau de John Malkovich alliait la phénoménale profondeur scénaristico-métaphysico-psychologique du script de Kaufman à une réalisation parfaitement empathique, HUMAN NATURE donne quant à lui l’impression d’un film bridé par des problèmes de rythme et de cohérence. En cause, non pas le scénario de Charlie Kaufman, certes moins stimulant mais tout aussi fascinant que celui du film précédent, mais plutôt un manque de rigueur dans la mise en scène de Michel Gondry… Car le réalisateur, en dépit de puissantes idées de mise en scène et de trouvailles audio-visuelles issues de son univers (clips de Björk, Massive Attack, etc.), ne parvient pas comme Spike Jonze à faire fusionner ses propres obsessions et celles de Kaufman. La folie d’un script se heurte à la folie d’une mise en image, la précision des dialogues ne se mélange pas avec la passion trop palpable du réalisateur pour l’aura de ses acteurs.


En bref, HUMAN NATURE peut clairement décevoir face à Dans la peau de John Malkovich. Michel Gondry, encore trop engoncé dans un format clip, paraît incapable de maîtriser complètement son envie de gimmicks, de juguler sa créativité, de laisser la place à autre chose que lui-même pour donner corps à un scénario prometteur. Il faudra donc attendre 2004 et Eternal Sunshine of the Spotless Mind pour apercevoir une parfaite adéquation entre le cinéma créatif, dépouillé et personnel de Gondry et les obsessions de Charlie Kaufman.


Critique par Georgeslechameau, pour Le blog du Cinéma

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le 3 févr. 2016

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