Quoi de mieux qu’un hôtel, ce lieu où l’on passe sans se voir, se rencontrer ou échanger, pour évoquer le cloisonnement de nos vies modernes, la difficulté qui est la nôtre à franchir les murs qui ornent notre existence. Une dimension symbolique que Hong Sang-soo se réapproprie fort habilement avec Hotel by the River, abordant ainsi les thématiques de la solitude et de la mort avec une pudeur poétique tout à fait remarquable : côte à côte la rivière et l’hôtel s’effleurent, côte à côte les deux femmes sont allongées sur un lit étroit, côte à côte les deux frères sont assis face à leur père. Seul, le poète s’endort et la neige tombe. Or, « la neige ne tombe jamais par hasard » nous dit-on, elle peut être l’écran blanc sur lequel le noir et le blanc se côtoient enfin, la page blanche où tout est encore à écrire... Ou bien, au contraire, la tombée de rideaux sur un monde où il n’y a plus rien à raconter ?


Le film va flotter entre ces deux temps, ces deux pôles, ces deux possibles ; entre un duo féminin en rémission sentimentale et un trio masculin en panne d’héritage symbolique. Et au milieu ne coule plus une rivière, comme une page immaculée n’attendant plus rien comme geste créateur. Le poète bloque, n’écrit plus une ligne, s’en accommode fort bien. Peut-être est-il venu là pour mourir. C’est l’hypothèse du plus jeune fils. Les tonalités de gris se distribuent autour des deux tables du restaurant de l’hôtel et ses fauteuils cossus. Même le verre des tables reflète cette blancheur qui ne dit plus rien sinon qu’il n’y a plus rien à dire.


Cette impossibilité à communiquer, Hong Sang-soo va avoir le bon goût de l’illustrer subtilement par son visuel, en exploitant symétries et rencontres, mais aussi asymétrie et rendez-vous manqués. Les personnages se font échos par ressemblances ou par oppositions, à l’image d’une forme symétrique inversée en tout point. Sang-hee fait la demande à son amie de lui apporter un café et l’accueille dans l’intimité de sa chambre, alors que Young-wan décline le café offert par son fils en insistant poliment au téléphone pour les rencontrer dans le café de l’hôtel afin de ne pas exposer l’intimité de son espace. Une incommunicabilité qui transpire de l’écran même lors des séquences dialoguées : on monologue, on parle à travers une vitre, on regarde l’autre dans une indifférence polie...


Bien que plus grave que ce à quoi nous a habitués le cinéaste, le film ménage son pathos en venant insérer dans la trame des effets comiques, au détour par exemple de l’interaction entre le père et ses fils qui offre à ces derniers de ridicules peluches, ou encore lorsque les femmes entendent le plus jeune des fils hurler à tue-tête hors-champ le nom du père encore momentanément disparu. De même, de longs dialogues dissèquent avec légèreté — hormis la scène à venir au restaurant où le soju opère la catharsis et voit s’enflammer les hommes — des questions originaires, par exemple pourquoi le père a-t-il nommé ses fils Kyung-soo et Byung-soo. À l’instar des références à une tradition picturale ancienne, l’explication paternelle s’ancre dans un schème de pensée qui fait retour vers la tradition : Byung-soo, signifie côte à côte, comme deux frères, aussi différents puissent-ils être. Cette proximité est celle d’un équilibre profond entre les cieux, évoqués par la poésie, et la terre, où l’être humain s’enracine. La disparition d’un tel équilibre, bien sûr, peut s’avérer désastreuse : la poésie n’érafle plus, ne frôle plus les êtres, s’éloigne et laisse la place à la mort.


Pour conjurer le sort, le cinéaste innove et se réapproprie le principe de la caméra portée : le tremblement, presque imperceptible, est réel. La caméra investit l’espace, et franchit les obstacles qui nous bouchent l’horizon : on découvre une silhouette, un visage, un regard, une raison de s’émouvoir, encore une fois. Formellement, Hong Sang-soo nous ainsi donne les clefs pour comprendre la maxime du vieux poète : « On vient du ciel mais on doit apprendre à être humain ».


Créée

le 30 sept. 2022

Critique lue 40 fois

3 j'aime

Procol Harum

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