Cela fait bien longtemps que les westerns n'intéressent plus grand monde. Datés, trop manichéens, répétitifs, le genre qui fait l'essence même du cinéma américain n'agite plus les foules. Il est vrai qu'en dehors des épiphénomènes Django Unchained et The Hateful Eight, les westerns récents – des remakes pour la plupart – ont peu d'arguments pour renverser la tendance. Vu les remarques des spectateurs après la séance, je ne pense pas que Hostiles y fera quelque chose, pourtant le film a de quoi.


Scott Cooper, qui sait représenter les faces sombres de l'histoire américaine (Les brasiers de la colère) propose une œuvre coup de poing et revisite le western de façon authentique à travers un "horse-movie" brutal, dur et puissant. Il y dresse le portrait d'une Amérique de 1897 qui se modernise tout en ayant du mal à chasser les fantômes de la guerre contre les Natifs. La première scène du film met déjà en place un malaise retentissant qui perdure tout du long. Les tensions entre colons et amérindiens sont bel et bien présentes, elles sont immuables, rien ne pourra changer ce qui a été fait par le passé. Il n'y a qu'un ennemi commun qui pourrait renverser le cours des choses : la haine.
Joseph Blocker, capitaine aguerri de l'armée américaine reçoit l'ordre de raccompagner sur ses terres ancestrales le prisonnier Yellow Hawk, dernier grand Chef Cheyenne avec sa famille. Longtemps ennemis, la mission est un véritable crève cœur pour Blocker qui voit cela comme une insulte envers la mémoire de ses hommes tombés sous le joug des Cheyennes. Elle l'est d'autant plus pour le Chef, malade, humilié devant sa famille et ayant vu son peuple se faire massacrer. Heureusement, la troisième pointe du triangle, incarnée par Rosalie Quaid, va créer le rapprochement entre les deux peuples après avoir subit une tragédie. On suit le convoi sur un chemin de la rédemption qui ne semble jamais finir, tant le poids de l'histoire est lourd, et les vices de l'être humain sont présents.
L'armée américaine a massacré les Natifs mais cela ne s'est pas fait sans dommages collatéraux. Les soldats ayant commis les pires atrocités n'en sont pas ressortis indemnes. Le syndrome post-traumatique est d'ailleurs un thème développé dans le film à travers les personnages interprétés par Ben Foster (Wills) et Rory Cochrane (Metz).


Voilà ce qu'il en est du contexte et du récit. Sur la forme maintenant, comment ne pas être conquis par la qualité de la réalisation mais surtout par la photographie ! Entre les cadrages magnifiques de paysages du Nouveau-Mexique au Montana, les plans sur les crêtes somptueux et les scènes de nuit très réussies, on en prend plein les yeux. L'esthétique d'Hostiles est l'un de ses plus grands atouts et n'a rien à envier aux films des grands John Ford et Sam Peckinpah. L'immersion passe par l'image mais aussi par des détails tels que le respect de la barrière de la langue. La langue cheyenne, enjeu de l'histoire d'ailleurs : apprise par Blocker pendant la guerre pour mieux contrôler son ennemi, elle devient une marque de respect entre les deux parties. Le casting de haute volée répond aux attentes en interprétant avec conviction des personnages torturés et endeuillés. Le jeu de Christian Bale est toujours aussi sobre mais il parvient aussi à apporter de la tendresse à ce capitaine rempli de haine et hanté par son passé. Wes Studi, cantonné aux rôles de Chef indien depuis la nuit des temps fait toujours plaisir à voir même si on aurait aimé voir son personnage peser un peu plus sur les événements. Rosamund Pike, qui avait mis tout le monde d'accord dans Gone Girl est ici aussi très émouvante en femme forte en quête de reconstruction. A noter enfin la présence du très bon Jesse Plemons jouant un officier sorti de West Point complètement dépassé par les événements.


Passons à un aspect qui est le plus sujet à débat : le rythme. C'est sûr, il ne faut pas s'attendre à regarder un western spaghetti, on est dans un registre bien plus pesant et sombre qui peut faire penser à Impitoyable à certains égards. La base émotionnelle du film se fait sur ce rythme lent et renforce le réalisme du propos. Le récit est intense, les enjeux et les thèmes développés sont nombreux, Scott Cooper veut nous le faire comprendre. Ce que je pourrais reprocher à cette mise en scène, c'est sa tendance à vouloir amplifier certaines scènes pour augmenter le pathos sans que cela soit bien nécessaire. Il est vrai qu'on n'y trouve aucune place pour un moment un peu plus décalé, Hostiles est une vraie expérience et on peut ressortir assommé par toute cette violence.


Il en reste que Hostiles s'impose de mon point de vue comme un des meilleurs néo-westerns de part l'empreinte qu'il laisse après son visionnage tant sur le plan psychologique que sur le plan visuel. En fin de compte, le film est loin d'être aussi pessimiste que cette critique pourrait l'entendre. Cooper n'envoie pas ce message niais et naïf souhaitant que tout le monde devienne ami quelle que soit sa couleur. Le récit va au-delà du simple conflit manichéen entre "cowboys et indiens", il met au centre une réflexion sur la reconstruction de personnes brisées. L'issue d'un conflit ne réside pas dans une paix forcée, elle réside dans la faculté des peuples à pouvoir se relever. A l'heure où la culture amérindienne est noyée par la malbouffe, l'alcool et la drogue, des œuvres telles que Hostiles et Wind River rappellent que les Natifs eux-aussi aimeraient avoir la chance de se reconstruire.

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le 24 mars 2018

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