« We’ll never get used to the Lord’s rough ways »

The essential American soul is hard, isolate, stoic, and a killer. It has never yet melted.” La citation de D.H Lawrence, en exergue, et reprend le flambeau du grand western : coucher sur un papier maculé la légende sanglante des origines.


Hostiles n’a rien de nouveau à proposer, et c’est, en un sens, ce qui fait longtemps sa force. Que le pays se soit constitué sur un génocide est une vérité silencieuse que nul ne peut ignorer désormais, pas plus qu’on sait à quel point le western a contribué à dorer une chanson de geste qui fait la part belle au vainqueur, lui seul capable de réécrire l’Histoire. Le genre lui-même est devenu un petit exotisme savoureux dont la production se perle gentiment, proposant quelques films par ans, la plupart lorgnant du côté des gun fights bien falots. Si le genre séduit encore, c’est par la promesse de violence facile qu’il engendre : dans un pays à l’aube de la civilisation, les fusillades, les injustices – et les vengeances tonitruantes ne demandent guère d’efforts scénaristiques pour advenir.


Hostiles, de ce point de vue, joue une carte intéressante : celle de l’écœurement face à son propre contexte. Evidemment, on ne peut s’empêcher de penser au Munny d’Impitoyable, ancien gangster qui ne se remet pas vraiment des exactions qui ont fait sa légende.


A l’issue d’un éprouvant prologue de massacre d’une maisonnée civile (ceci dit on ne peut plus classique, d’Il était une fois dans l’Ouest à Josey Wales), la tonalité sera surtout celle d’un requiem : Bale, taiseux chef d’orchestre, dirige une partition neurasthénique en forme de veillée funèbre : les intérieurs nuits, les feux de camp illuminent des visages et des conversations fragmentaires qui, la plupart du temps, évoquent avec une nostalgie traumatisée les bains de sang d’un passé qui ne sèche pas.


Toute cette première partie est une grande réussite : par l’audace de sa lenteur, par sa dureté, aussi, qui cherche à éviter les gros traits dans les caractères qu’elle ébauche. Ainsi du personnage de Rosamund Pike, entre la douleur mutique et les sursauts de haine, que ce soit sur l’herbe à creuser pour enterrer les siens ou le cadavre d’un Comanche qu’elle plombe aveuglément.


Les plans larges, magnifiés par une superbe photographie, font la part belle à une nature dont l’indifférence accroît la souffrance silencieuse de cette procession. Car dans ce convoi, nulle quête ne se dessine. « Death come to us all », assène le chef indien qu’on reconduit chez les siens pour mourir. La route est jonchée de cadavres, et les assaillants eux-mêmes n’ont même pas le temps de devenir le méchant vers qui tourner sa haine et les fils formatés d’un récit de revanche.
Le fameux pas de porte qui ouvrait et fermait La Prisonnière du Désert est désormais calciné, et le fardeau de l’Histoire est trop lourd pour qu’un héros puisse lui donner un sens.


L’écriture est de ce point savante, au point d’en devenir presque scolaire. Chaque personne a ainsi sa part d’ombre : le capitaine, le condamné, le libéré : tous ont le même passé, seuls les statuts changent. Cette volonté acharnée de se situer au mitan du bien et du mal pour éviter le manichéisme occasionne un défilé qui n’évite pas certaines pesanteurs, sur la route d’un récit qui va alterner dissertations taiseuses et scènes de violences alimentant un charnier qui plombera les conversations suivantes.


Hostiles est un beau film, bien joué, de belle tenue dans son rythme et la noirceur qu’il cherche à déployer ; mais l’édifice ploie à quelques reprises sous la solennité de son didactisme.
Cette fragilité, reconnaissons-le, est une conséquence de sa grande force initiale : en plaçant la barre si haut dans sa première partie, Scott Cooper aurait dû faire confiance à son audace pour la laisser intacte dans la suite de son récit. Malheureusement, il appuie trop sa démonstration et cède à quelques facilités qui émaillent le diamant brut qu’il nous imposait jusqu’à alors. La musique de Max Richter, discrète et très juste dans sa mélancolie, se fait plus insistante et lyrique, accompagnée de couchers de soleils à répétitions et une esthétique qui lorgne du côté de Malick, alors qu’on ne lui en demandait pas tant. Les personnages eux-mêmes basculent un peu vite dans l’empathie, entre une femme qui devient complice des autres et un capitaine qui fait de son ancien ennemi son alter-ego dans le deuil. Qu'on se souvienne de The Proposition, ou surtout de L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford : les personnages réellement complexes peuvent encore exister dans le western contemporain. Ici, la dernière scène de violence au couteau semble une piqûre de rappel un peu plaquée qui chercherait à s’excuser de privilégier une piste par rapport à celle annoncée initialement.


Le film n’en pâtit pas au point qu’on le puisse le condamner dans son intégralité. Mais à voir le chemin qu’il prenait, on pouvait déceler en lui l’âpreté des très grands (La Porte du Paradis, qui fait clairement office de référence ici) ou l’émotion rêche de plus courageux que lui : pour ce qui est du convoi mortifère ou du rapport à la violence d’une nation, Tommy Lee Jones, dans Trois enterrements et The Homesman.


C’est là un autre poids de la légende : aux personnages de faire avec une Histoire qui leur pèse, au cinéaste avec le poids encombrant de ses prestigieux modèles.

Sergent_Pepper
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le 15 avr. 2018

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