Avec son deuxième long-métrage, la réalisatrice parisienne Rebecca Zlotowski confirme sa capacité à pénétrer et à filmer un milieu essentiellement masculin où le corps revêt une signification déterminante. Hier, dans Belle Épine, il s'agissait d'une bande de motards dont la machine constituait le prolongement physique dans une sorte de communion servant aussi de garde-fou dans la recherche frénétique de sensations fortes. Aujourd'hui, nul besoin de recherche car l'adrénaline constitue une part fondamentale de l'activité d'une équipe d'ouvriers employés dans une centrale nucléaire durant l'arrêt d'une tranche. Gary est embauché sur ce chantier à hauts risques, y rencontre Karole dont il tombe amoureux, alors que celle-ci doit épouser prochainement Toni, un collègue de Gary.
Le parallèle entre l'irradiation liée à l'activité des ouvriers et celle qui entoure l'amour tombe sous le sens. Il en est d'ailleurs tellement évident que l'histoire d'amour devient presque accessoire dans un film qui fait la part belle au travail d'hommes soudés, vivant dans une vase clos à l'intérieur (au plus près des réacteurs et des dangers de contamination par la 'dose') comme à l'extérieur (hébergés dans un campement de mobile-homes).

Lorsqu'elle montre le recrutement, l'apprentissage et enfin la travail quotidien de ces hommes amenés à accepter ce genre de boulot parce qu'ils sont précaires ou cabossés par l'existence pour les plus âgés et n'ont donc pas d'autre option, la réalisatrice sonne juste en pratiquant une mise en scène énergique et efficace, sans gras ni digressions. Avec un œil documentaire, elle saisit l'urgence et la précision salutaire des mouvements des ouvriers revêtus de leurs combinaisons de cosmonautes comme elle captait l'énergie difficile à canaliser des jeunes motards sur le circuit de Rungis. Au sein de ce groupe d'hommes - souvent filmés dans les douches et les vestiaires - le comédien Tahar Rahim observe et apprend ainsi qu'il le faisait dans Un Prophète de Jacques Audiard.

En tombant amoureux, celui qui devrait souffrir les affres de la passion et la frustration de l'inaccomplissement dans une situation inextricable se révèle hélas trop terne pour faire totalement croire en la véracité de son sentiment. En face de lui, Léa Seydoux n'est guère plus convaincante, sans doute parce qu'en définitive sa partition est plutôt mince. A leur côté, Olivier Gourmet, en chef d'équipe, surclasse largement l'ensemble et contribue, malgré lui, à affadir la dimension romanesque d'un film qui présente néanmoins le mérite d'investir un territoire inédit, et pour le coup terriblement cinématographique dans la dramaturgie anxiogène qui lui est automatiquement associée.
On en arrive donc au constat contradictoire que le travail est plus fort que l'amour et qu'avoir voulu unir les deux par un symbolisme un peu lourd n'est sans doute pas la meilleure idée qu'ait eu Rebecca Zlotowski, plus à l'aise dans la mise en scène physique que dans les séquences plus douces.
PatrickBraganti
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le 28 août 2013

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