Gladiator : quand le péplum rencontre Michael Bay

Introduction :


Ah… Ridley Scott… Je ne reviendrais pas une nouvelle fois sur la longue carrière du bonhomme, et pour ceux qui curieusement ne serait guère familier à ce patronyme, sachez simplement qu’il fut entre 1977 et 1982 l’auteur de trois grands films (Les Duellistes, Alien et Blade Runner), et que depuis lors sa carrière slalome bien maladroitement disons-le entre navets cosmiques, chefs-d'œuvre ratés et sursauts plus ou moins bien négociés. Il faudra donc attendre l’an 2000 pour voir ressurgir d’on ne sait où ce vieux Ridley avec le hautement improbable (du moins sur sur le papier) Gladiator. Hautement improbable disais-je car voilà bien longtemps que le genre du péplum n’avait plus connu le succès, les derniers grands noms du genre étant à aller chercher du côté des années 1950-1960. Et bien que des films comme Danse avec les loups de Kevin Costner (7 Oscars) et surtout Braveheart de Mel Gibson (5 Oscars) avaient témoigné d’un regain d’intérêt pour les fresques historiques, tant au niveau du public que de la critique, il fallait bien reconnaître qu’il n’était guère évident en ce début de XXIe siècle de parier sur un genre depuis bien longtemps considéré comme mort. Le projet se monte cependant et à sa sortie le triomphe est total. Gladiator décroche instantanément le statut de film culte et se voit récompensé de 5 Oscars dont celui du meilleur film. Seule ombre au tableau cependant, Ridley Scott repart bredouille, la statuette de meilleur réalisateur lui ayant filée entre les doigts au profit de Steven Soderbergh, ce qui n’est pas sans contrarier le principal intéressé qui ruminera jusque dans les bonus du blu-ray ce qu’il considère volontiers comme une injustice et que pour ma part je voit davantage comme une preuve de la grande compétence du jury de cette 73e cérémonie.

Analyse :

Gladiator tient le pari, risqué donc, de faire revenir le genre péplum en odeur de sainteté à Hollywood en renouvelant la forme. Car si le fond du film ne diffère pas réellement de celui de ses pères de l’âge d’or hollywoodien (Rome c’est l’Amérique et la critique faite de l’Empire renvoie à une critique de l’Amérique d’alors), c’est bien sur la forme que le film se démarque des grands noms du genre au style suranné. Avec Gladiator, le péplum fait donc une entrée fracassante dans le cinéma des années 2000, pour le meilleur mais surtout pour le pire. En effet, Scott tire un trait sur maintes décennies de péplum pour adapter le genre à ce qui fonctionne en cette fin de XXe et ce début de XXIe siècle : le cinéma d’action sauce Don Simpson/Bruckheimer. Le péplum abandonne ainsi son faste d’antan, ses couleurs chatoyantes, ses séquences amples et incroyables (ouverture de la Mer Rouge dans Les Dix Commandements, course de chars dans Ben-Hur…) pour un curieux mélange entre Tony Scott et Michael Bay version dark parce que Matrix. Dans tout ce gloubiboulga clipesque qui fait finalement de Gladiator un film bien de son époque, les scènes de batailles et de combats apparaissent comme un cas d’école, le parfait exemple de la dérive "millénial" infligée au genre. Cadrages aléatoires et surdécoupage associé à une shaky cam de tous les instants rendent souvent les séquences difficilement lisibles et la compréhension de l’espace fastidieuse. Cela dit, Scott nous a depuis prouvé qu’il était capable de bien pire avec des films comme Kingdom of Heaven ou Robin des Bois. Le statut culte de Gladiator ainsi que ses nombreuses nominations et récompenses aux Oscars influenceront par la suite grandement les péplums à venir (genre que le succès du film de Scott a relancé) qui adopterons cette esthétique clipesque et sombre qui marquera le genre dans les années 2000. Ainsi, cette adaptation du genre à un certain style fin '90 début 2000 impose, notamment en ce qui concerne la fameuse bataille contre les germains, une imagerie Seconde Guerre mondiale/Guerre du Vietnam, de plus en plus réaliste voir documentaire, sur laquelle le cinéma américain travaillait depuis les années 1970 et qui avait connut son acmé avec Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg.

Si, nous l’avons vu, Ridley Scott renouvelle l’esthétique du péplum, ce vieux Ridley, visiblement conscient de sa magnificence, ne peut se résoudre à ne réaliser qu’un film de gladiateur, qu’un simple revenge movie antique, il lui faut de la philosophie à ce cher tonton Scott, ainsi qu’un message politique fort et pertinent. Après tout, il n'est pas n’importe qui. Et c’est précisément là, au moment où Scott se prend pour un auteur à messages, que Gladiator devient assez drôle. En effet, parallèlement à l’arc que tout le monde retient, à savoir la dimension revenge movie du film, le cinéaste "développe" une intrigue politique reposant également sur les lourdes épaules de Maximus. L'empereur/philosophe Marc-Aurèle lui confie en effet la tâche de rétablir une République à Rome, de rendre le pouvoir au peuple pour en finir avec l’Empire et la corruption. Parce que oui, dans le petit monde merveilleux de Ridley Scott, la République c’est mignon tout plein et l'Empire c’est vilain pas beau. Si seulement le monde pouvait être aussi simple que dans l’esprit de ce cher Ridley. Ainsi, non content de rendre le pire hommage possible à l’Œuvre de Marc-Aurèle, Scott plombe littéralement son film avec cette ridicule intrigue secondaire. On parle volontiers au cinéma de la fameuse "suspension d’incrédulité", cette chose formidable qui nous permet sans le moindre problème d’adhérer à un univers ou récit, aussi fantaisiste ou absurde soit-il. Mais lorsqu'une bonne partie de Gladiator gravite autour d’une intrigue politique aussi bête que sérieusement traitée, je ne peux plus suivre. L’idiotie de cet arc couplée au sérieux papal de son traitement me sort instantanément du film et génère par conséquent chez moi un désintérêt total pour un bon tiers du métrage (d'autant que ce fameux malaise de la société et du pouvoir romain, face auquel le vieil empereur semblait si alarmiste, ne nous sera absolument jamais montré).

Je vous propose de rester dans le domaine du risible pour aborder LE trauma du personnage de Commode. Les relations père/fils plus ou moins tumultueuses sont légion dans le cinéma et l’art en général, mais forcé de constater que le fameux trouble entre Commode et son père Marc-Aurèle dans le péplum culte de Ridley Scott a marqué toute une génération. Cette relation connaît son paroxysme et même son seul acte notable d’ailleurs dans la confrontation des deux hommes sous la tente de l’empereur en Germanie, confrontation durant laquelle Commode pense recevoir de son père la confirmation qu’il lui succèdera bien à la tête de l’Empire. Malheureusement, le pauvre petit Commode, mal-aimé par son papa, apprend que ce dernier vient de confier cette tâche à Maximus. Capricieux et suite à deux trois joutes verbales d’une niaiserie assez confondante mêlée de philo de comptoir aurélienne (Ex: "Tes fautes de fils sont mes défaillances de père." Wow ! Heureusement que le mec est philosophe), le petit Commode assassine son père dans un très gros câlin plein de rage (mais la rage d’un enfant capricieux n’ayant pas eu exactement ce qu’il voulait pour Noël, comprenons-nous bien). Précisons que tout le trauma du principal antagoniste est présenté et clarifié au cours de cette scène… Ridley Scott et son scénariste peuvent donc dire un grand merci au duo Richard Harris/Joaquin Phoenix qui tentent de sauver la scène comme ils le peuvent. Mais si Harris quitte assez rapidement l’histoire (tant mieux pour lui), Phoenix lui est contraint de tenir la distance (pauvre de lui). Son talent lui permet néanmoins de créer un antagoniste fort, identifiable et marquant, malgré un trauma de départ un poil faible.

Finissons-en une bonne fois pour toutes avec le risible avec une des plus franches tranches de rigolade du film : son final. Si Gladiator nous propose un règlement de compte burné et libérateur au coeur de l’arène entre Maximus et Commode, c’est bien de la séquence suivante dont je parle, ce moment où toute l'équipe du film s’est rassemblée autour d’une table pour répondre à la question suivante : "Comment qu’on finit ce putain de film ?" D’où vient l’idée ? De Ridley Scott ? D’un scénariste ? D’un stagiaire ? D’une coalition de cerveaux brillants ? Nous ne le saurons jamais. Mais une chose est sûre, elle constitue réellement à mes yeux l’une des fins les plus drôles qu’il m'ait été donné de voir dans un film "sérieux". Je passerais rapidement sur la mort de Maximus, sorte de remix moins incarné et pognant de celle de William Wallace dans Braveheart, pour me concentrer sur tout le reste : un Colisée silencieux, en deuil, la sœur de l’empereur qui accourt devant tout le peuple de Rome et la garde prétorienne au complet vers son ancien amant puis prononce un discours sans queue ni tête, suivi du gentil politicien (que Maximus a néanmoins trouvé le temps de réinvestir dans ses fonctions à la dernière minute et au nom de Marc-Aurèle) qui lance un mythique : "Qui m’aidera à le porter ?", alors que le gars pèse 30 kg tout mouillé donc il portera que dalle, le tout dans une solennité forcée, encore alourdie par la musique du kaiser Zimmer, mais nous y reviendrons. Bref, c’est vite fait bien f…euh… Bref, c’est fait, tous les arcs sont clôturés, envoyez le générique, directed by Ridley Scott… Ouf !

Pour finir, attardons-nous sur l’élément qui a fortement participé à la notoriété du film : la fameuse bande originale de Hans Zimmer et Lisa Gerrard. Je sais pertinemment que je m’attaque ici à un menhir, une pierre inamovible dans le cœur et l’esprit de bien des gens. Mais voilà, si l’on fait un instant abstraction de la décharge galvanisante que procure assurément les thèmes mythiques du film, Zimmer reste néanmoins fidèle à lui-même en nous proposant une bande originale musicalement assez pauvre et sans aucun développement thématique. Si les thèmes sont identifiables, épiques et marquants, il demeurent assez simples mais ne sont surtout jamais développés par le compositeur qui se contente souvent de répéter ses thèmes en boucle, le plus fort possible, parce que plus fort c’est plus épique. Si la musique de Zimmer m’est très souvent apparue comme fainéante, Gladiator représente une période durant laquelle le compositeur allemand recherchait encore la mélodie et le thème simple mais marquant, ce qui ne sera plus le cas dès les années 2010 et sa collaboration avec Christopher Nolan qui finira de transformer Zimmer en sound-designer de luxe recherchant davantage LE son qui marquera les esprit qu’une composition musicale complexe. Ainsi, si je ne peux nier mon affection pour la bande originale de Gladiator, je ne peux pas non plus me voiler la face et me dois de considérer cette BO comme ce qu’elle, c’est à dire une succession de musiques de bande annonce, marquantes mais "tarte à la crème", musicalement pauvres, lourdes, fainéante, bref, de la musique de beauf qui n’égale en rien les compositions références de Basil Poledouris sur Conan le Barbare, de John Barry sur Danse avec les loups ou de James Horner sur Braveheart.

Et pourtant, malgré tous ses défauts, j'aime bien Gladiator. J’ai beau conchier la musique "tarte à la crème" de Hans Zimmer, il me suffit d’entendre un de ses thèmes marquants pour connaître une envie irrépressible de sauter dans l’arène pour démembrer de l’esclave germain à tour de bras. J’aime le parcours de Maximus, sorte de Ben-Hur ultra-testostéroné désirant par dessus tout venger le meurtre de sa famille. Si je ne supporte pas l’intrigue pseudo politique du film, je suis en contrepartie embarqué par sa dimension revenge movie. A travers son parcours, c’est tout autant ce qu’incarne Maximus qui permet mon attachement au personnage, il est ce chevalier blanc, courageux, intègre, fidèle à son empereur, juste, pieux, charismatique, déterminé voir obstiné. Il est un héros comme Hector en été un, à ceci près que l’ennemi de ce dernier, Achille, était tout sauf un politicien névrosé et mort de peur. Dans le rôle, Russell Crowe est parfait, quoi qu’un poil trop monolithique (ce qui me fait regretter l’absence de Mel Gibson, premier choix de Scott et des producteurs pour le rôle de Maximus, qui aurait sans doute apporté davantage d’émotion et d’épaisseur au personnage), Joaquin Phoenix livre une performance fascinante, le regretté Oliver Reed campe un superbe Proximo, John Mathieson livre une très belle photographie et Ridley Scott, malgré une réalisation dénaturant ou renouvelant (c’est au choix) le genre péplum met sur pied une poignée de magnifiques séquences qui marqueront les rétines et les cœurs. Si les combats ne brillent pas vraiment par la virtuosité ou le génie de leur mise en scène, il savent néanmoins être sanglants, brutaux et violents comme il faut, de quoi satisfaire les bas instincts d’un spectateur en quête de morceaux de cervelles giclant hors des crânes fracassés de barbares germains ou d’esclaves orientaux.

Conclusion :


Très surfait à mon sens, Gladiator, avec sa mise en scène clipesque à la Michael Bay/Tony Scott, ses musiques de bande-annonce, son trauma père/fils un poil ridicule, sa philo et sa politique de comptoir et son final quelque peu embarrassant ne mérite guère le titre de chef-œuvre que beaucoup lui accordent pourtant. S’il participe grandement au renouvellement du péplum et à son regain de popularité dans les années 2000, il le fait en dénaturant le genre, en faisant fie de la grammaire qui y était jadis associée et ce par de grands noms tels que Cecil B. DeMille, William Wyler, Stanley Kubrick et autres Anthony Mann. Mais voilà, comment ne pas être galvanisé par le parcours de son héros et ses thèmes musicaux marquants ? Comment ne pas haïr son antagoniste et jubiler devant le duel final et les gerbes de sang recouvrant les sables du Colisée ? Ainsi, malgré ce que l’objectivité m’impose de reconnaître, une part de moi (sans doute le gladiateur sommeillant en chacun de nous) me supplie de débrancher mon cerveau de cinéphile pour jouir de cette aventure, de ce héros, de cette vengeance en quête d’assouvissement.

Le genre péplum connaît ainsi son nouvel et dernier âge d’or (du moins pour l'instant). Gladiator en devient le point de départ et la référence ultime, le film qu’il faut à tout prix pomper, le succès qu’il faut réitérer. En parallèle de l’avalanche de fresques historiques inspirée par Braveheart, des films comme Troie, Alexandre, Le Roi Arthur ou 300 s'inscriront à tous points de vue dans la lignée du film de Ridley Scott, pour le meilleur mais surtout pour le pire.

Antonin-L
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le 27 oct. 2023

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