Difficile de parler aujourd’hui d’un film qui a très longtemps été mon film préféré. Ça devait bien faire sept ans que je n’avais pas revu « Gladiator », l’un des films les plus importants de la filmographie de Ridley Scott, cinéaste difficile à cerner aux choix de carrière quelque peu surprenants. Se remettant tout juste des fiascos commerciaux et critiques du fade « Lame de Fond » et du nauséabond « G.I. Jane », on était en droit de se demander si le bon Ridley serait capable de réitérer les réussites totales que constituaient ses trois premiers films (ou même j’ose, son quatrième, « Legend » qui m’a agréablement surpris). Aujourd’hui, on connaît la réponse, « Gladiator » offrit une seconde jeunesse à son auteur, qui aujourd’hui, ne cesse d’enchaîner les projets à un rythme effréné, pour le meilleur et pour le pire. Mais, quinze ans après ce succès fulgurant et inattendu, « Gladiator » déchaine les passions, et tend à diviser les communautés cinéphiles. J’avoue avoir appréhendé cette révision. Revoir les films cultes de son enfance, c’est prendre le risque de briser l’estime que l’on porte pour un film ou un réalisateur (sacré George). J’ai donc préféré parfaire ma connaissance de la filmographie du britannique avant de donner une nouvelle chance au film qui a si longtemps émerveillé mes petits yeux de bambin innocent, avide de grandes fresques épiques aux héros braves, forts et courageux qui mettent à mal les pires projets des tyrans les plus cruels.
Mais que dire sur « Gladiator » quand presque tout a été déjà dit ? La réinvention d’un genre oublié, des batailles spectaculaires, des combats viscéraux, un souffle épique sans pareil , un Russel Crowe monstrueux de charisme…
Tant de points qui ont fait de « Gladiator » l’un des films les plus marquants de ce début de XXIème siècle.


En fait, ce que m’a permis cette nouvelle vision du film, c’est de mieux comprendre ce que j’aime chez Ridley Scott, ce qui m’a poussé à lui vouer un culte durant toute ma jeunesse.
Sa rigueur déjà. Sa grande rigueur dans la réalisation. Chaque plan est pensé, réfléchi au moindre photogramme. Aucun mouvement de caméra n’est superflu, Scott fait ici, comme à son habitude, preuve d’une remarquable économie du mouvement. Derrière chaque travelling ou panoramique se cache une intention. S’il n’y voit pas le besoin, Scott n’hésite pas à poser sa caméra. Son rythme, il le trouve grâce au montage énergique de Pietro Scalia. Héritant des expérimentations de Gibson et Spielberg sur respectivement « Braveheart » et « Il faut sauver le soldat Ryan », dont la violence a sans doute également influencé le réalisateur, la bataille d’ouverture dans les forêts de Germanie est à ce sujet, un modèle du genre, sanglante et barbare, pleine d’idées, et proposant une lisibilité plus qu’appréciable, malgré pourtant un montage très rapide, et quelques plans en shaky cam. Toute sa construction est déjà très impressionnante, de sa mise en place à la gestion du décor. On comprend les enjeux, toutes les étapes de la bataille… Bref, l’immersion est totale, et il en sera de même pour la bataille au Colisée, malgré quelques petits abus de ralentis et autres effets un peu clinquants par ci par là. L’action est maîtrisée de bout en bout. Fluide et dynamique.


L’immense travail de reconstitution et de détail dans chaque décor et costume offre à Ridley Scott un nouveau moyen de proposer des plans extrêmement bien composés, où il affirme et impose à nouveau une image très picturale, somptueusement photographiée par son chef opérateur John Mathieson, aux couleurs tantôt très chaudes et rouges tantôt très froides et bleues, rappelant en particulier « Legend » et « Blade Runner ». Ces choix esthétiques font écho bien sûr aux influences de toujours de Ridley Scott, dans le domaine de la peinture ou celui du cinéma, « La Chute de l’Empire Romain » étant sans doute la plus importante, puisque le film d'Anthony Mann partage avec « Gladiator » la même période historique et un goût certain pour la démesure. Mais plus que tout, élément que j'avais à peine noté lors de mes premiers (et nombreux) visionnages du film, cette esthétique renforce tout l’aspect mythologique de l’histoire racontée, toute l’aura divine dans laquelle baigne le film. Que ce soient les quelques transitions où l’on observe un ciel en constante agitation ou des plans aériens tels que l’arrivée de Commode à Rome, tout est là pour renforcer l’idée qu’un dieu guide les personnages, observe et définit leur destin, écrit leur histoire. La portée symbolique de « Gladiator » n’en est que plus accentuée, d’autant plus que le tout récent « Exodus : Gods and Kings » (dont j’attends toujours impatiemment la director’s cut), comme « Kingdom of Heaven » suit un chemin similaire.


Toute la quadrilogie de fresques historiques de Ridley Scott partage d’ailleurs bon nombre de thèmes en commun, à savoir, l’héritage par une figure paternelle d’une mission salvatrice, à résonnance christique, un monde corrompu et pourri de l’intérieur dans lequel se disputent dieux et rois, et bien sûr peut-être le thème central de toute la carrière de Ridley Scott, le voyage, la découverte d’un nouveau monde. Un monde curieux, effrayant mais magnifique, mort et vivant. Un paradoxe géant.
Monde qui sera ici contenu dans une arène, outil de contrôle des masses, où se réuniront esclaves, plébéiens et patriciens, où se mêlera politique et divertissement, où l’infiniment petit fera face à l’infiniment grand. Monde qui n’attend que de s’effondrer.


Derrière son manichéisme d’apparence, « Gladiator » se révèle savamment écrit. Il opte pour un déroulement classique, qui reprend efficacement les codes du péplum, tout en ajoutant un propos politique, certes simple, mais pertinent et très actuel, compte tenu de la nature même de ce film à grand spectacle. De la même manière qu’Anthony Mann, Ridley Scott prend soin de ne pas faire de ses personnages très théâtraux de bêtes stéréotypes. Car finalement, comme le démontrent très bien ses premiers films, quand bien même Scott serait un cinéaste très visuel et attaché au spectacle massif, il reste d’abord profondément lié à ses personnages, à leur intimité. Il accordera à chacun d’eux, qu’ils soient bons ou mauvais, quelques beaux moments d’humanité. Bien que parfois maladroit (on se serait passé des grimaces du personnage lors de la première bataille au Colisée), le portrait de Commode (brillamment incarné par Joaquin Phoenix) est plus « fin » qu’il n’y paraît, notamment par le biais de ses dialogues avec son père Marc-Aurèle ou sa relation incestueuse avec sa sœur Lucilla. Plus qu’un simple méchant vaniteux et cruel, Commode est un vrai personnage tragique, au même titre que Maximus, son nemesis. En cela, le jeu sobre de Russel Crowe est logiquement parfaitement opposé à l’outrance volontaire de Phoenix.
On pourra néanmoins regretter que l’écriture affiche quelques défaillances, notamment par ses dialogues par moments assez pompeux, et trop solennels (défaut récurrent chez son auteur), ou encore quelques petites facilités scénaristiques en fin de film.


Mais le spectacle est là, on frissonne durant deux heures trente-cinq, le rythme est soutenu, et le compositeur adoré et décrié Hans Zimmer nous offre sa meilleure bande originale, tantôt douce et mélancolique, tantôt brutale et martiale, jusqu’à citer, comme Miklós Rosza avant lui dans le non-moins célèbre « Ben-Hur », une partie de « Mars, the bringer of War » issu des « Planètes » de Gustav Holst. La voix rauque de Lisa Gerrard apporte un supplément d’âme au film et achève le métrage de la plus belle des manières, tout en me rappelant mes réécoutes (et pleurs) continuelles de la musique du film quand j’étais enfant.


« Gladiator » malgré les années, reste un film qui m’est très cher, et qui malgré ses quelques maladresses, démontre le savoir-faire et l’immense talent de Ridley Scott, définitivement l’un des plus grands formalistes (et pas que) du cinéma américain à mes yeux.

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le 14 août 2015

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