dec 2011:

Je me trouve là devant un vrai paradoxe : je devrais détester ce film mais je l'aime beaucoup. Disons que les raisons qui me font apprécier les revoyures de ce film sont bien plus nombreuses que celles qui sont censées me rebuter. Alors je vais aborder ma chronique par ces dernières pour ensuite souligner les doux atours du film. On se débarrasse de l'embarras pour profiter au maximum des délices de Capoue.

Je n'ai pas la chronologie en tête mais je crois que "Flic ou voyou" est un jalon important dans la filmographie de Belmondo. On y fait plus que déceler le parti pris politique de ses films des années 80, une position réactionnaire qu'on pourrait pas tr op schématiquement classer à droite. On n'est pas encore tout à fait dans "Le professionnel", "Le marginal" ou "Le solitaire", des films résolument simplistes dans leur vision de la société et des maux qui la gangrènent et surtout empreints d'une noirceur assez caricaturale, proche du "tous pourris" que les mouvements démagogiques reprennent tellement à leur compte. Et ce "Flic ou voyou" me parait être déjà un candidat à cette espèce de poujadisme qui consiste à dénoncer l'inertie administrative, juridique des pouvoirs publics face à la criminalité. Le discours que tient Belmondo à Galabru, figure du bourgeois installé, du fonctionnaire bedonnant et assis dans le confort de la bureaucratie est en soi une parfaite illustration de la politique que ne renierait en aucun cas la droit extrême.

On pourrait tout aussi bien arguer que la fin des années 70 avaient engendré avec la fin de la période d'expansion et l'arrivée de la crise sur les économies de la planète une atmosphère volontiers agressive et par conséquent un cinéma de la réaction, pas uniquement en France avec les populaires Delon et Belmondo, mais aussi chez les Américains avec les Chuck Norris, Sylvester Stallone et surtout Charles Bronson. Ce "Flic ou voyou" fait penser, déjà, même si la filiation sera plus évidente avec les prochains films de Belmondo, aux films ultra violents dans lesquels Charles Bronson prônait l'auto-défense. Le flic-voyou que joue Belmondo se propose d'éliminer les criminels, s'il estime de ne pas pouvoir les boucler en tôle. Justice expéditive qui ne s'embarrasse ni de procès ni d'autre formalités bourgeoises. Voilà un type de discours même pas seulement implicite, qui a de quoi me déranger et qui ne s'en prive guère.

Pourtant j'adore ce film. Je n'aime pas ce que dit le film mais j'adore tout le reste, notamment la manière dont il le dit, la réalisation de Georges Lautner, le savant dosage d'humour et de gravité des personnages, la musique sombre et guillerette de Philippe Sarde, la pléiade de bons acteurs, l'espèce de jubilation que ce film dégage malgré l'arrière-goût faisandé décrit plus haut.

Dans la longue filmographie du dialoguiste Michel Audiard, ce film n'est pas le plus flamboyant, mais il compte sûrement parmi les plus percutants. Le style n'est pas seulement drôle, il est assuré, d'une très élégante maitrise, même quand il débite des âneries. Force est de constater que cela claque avec une puissance et une perfection que je kiffe toujours autant. Je le trouve très bien écrit, plein d'imagination, de cette verve truculente qui essaie de cacher en vain une certaine élégance, ainsi qu'une culture d'élite. J'adule Audiard mais je ne peux passer sous silence la manifeste patte de Jean Herman au scénario.

Reste que le couple Lautner/Audiard est de ceux qui me ravissent l'oreille et les yeux depuis que je suis tout gamin. Ce film est la parfaite illustration de ce formidable mariage : une fluidité extraordinaire produit la sensation de lire un très bel objet, les mots coulent, font corps avec l'image.

Sans trop sembler y toucher, Georges Lautner filme son histoire avec pas mal d'originalité et un découpage aux petits oignons (dans le cadre comme dans le temps) dans lequel les comédiens, tous les comédiens, sont à la fête. Qu'y a-t-il de plus efficace qu'un réalisateur qui aime le jeu de ses acteurs? La volupté sur chaque scène se sirote avec un réel bonheur.

J'insiste sur l'unanimité des bénéficiaires de ce cinéma de faveurs. Si Jean-Paul Belmondo profite en premier lieu de la caméra et des bons mots pour en faire le super héros populaire du box-office qu'il a été dans ces années-là, il n'en demeure pas moins vrai que l'attention de Lautner se porte également avec un gourmandise d'esthète évidente sur la photographie souvent excellente d'Henri Decaë, mais surtout sur le jeu de chaque acteur.

Le choix de la distribution se révèle souvent fort judicieux et je ne peux pas en écrire davantage sans nommément évoquer des types comme Jean-François Balmer. Voilà un acteur remarquable, dont la présence à l'écran est finalement assez rare en dehors de ces années 80. Il est surtout un amoureux du théâtre. Il est plus que bon et bénéficie entre autres d'une voix et d'une trogne qui sortent de l'ordinaire, mais bien entendu, son jeu est excellentissime, toujours très fin, puant ici le vice et poussant le cynisme de son personnage à un niveau très élevé. J'adore ce type.

Il n'échappera à personne que Michel Galabru est un acteur incroyable, au jeu parfois d'une netteté impressionnante. Il faut être bouché à l'émeri et avoir une sacrée couche de caca sur les yeux pour ne pas lui accorder un talent énorme.

J'aimerais particulièrement mettre en valeur la prestation d'un second rôle important à mes yeux : Claude Brosset est l'acteur typique dont la gueule revient à beaucoup mais dont le nom échappe à tout le monde. Figure récurrente du ciné et de la télé de cette époque, il n'a sûrement pas la reconnaissance qu'il mérite. J'aime beaucoup.

Le film fourmille de tous petits rôles tenus par de sympathiques voire très bons comédiens, je pense bien sûr de suite à Michel Beaune et Catherine Lachens, en couple pépère, victimes idéales pour le clown Bébel. Mais que ce soit le débonnaire Charles Gérard, dont le jeu d'acteur peut paraitre, à juste titre et au mieux déplorable, ou bien le plus maitrisé Georges Géret, ils font partie de ces types qui amènent un petit plus, un capital sympathie non négligeable qui compense pas mal la relative médiocrité de leurs jeux respectifs.

J'ai un peu plus de mal avec les deux comédiennes du film. Croyez bien que je le regrette. La froideur de Marie Laforêt ou l'espèce de distanciation qu'elle affecte trop souvent m'ont toujours un peu bloqué sans que je sache pourquoi exactement. Ces deux caractéristiques pourraient avoir leur charme. Ça n'opère pas en ce qui me concerne. Quelque chose de dur et lointain sans son regard peut-être?

Quant à Julie Jézéquel, sa maturité excessive, si peu naturelle, que son personnage arbore en permanence lui fait perdre toute crédibilité. On hésite d'abord, puis on s'en lasse et finalement on s'en irrite.

De ce "flic ou voyou", je retiens l'infantilisme du propos qui, marié aux talents de Lautner, Audiard, Herman et des acteurs, crée pourtant un film joyeux, une comédie policière gentiment drôle, très vivante, animée, très agréable à suivre.

La musique de Philippe Sarde, bien construite, épouse parfaitement cet état d'esprit rigolard, cette démesure un peu grotesque, ce spectacle permanent, entre élégance et grossièreté, jazz et musique classique, tempo doux ou cassant, rythme laiteux ou âpre. Elle finit par s'accrocher dans ma mémoire. Quand je pense à ce film, elle me revient illico presto m'entêter. J'aime beaucoup.
Alligator
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le 20 avr. 2013

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Alligator

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