En 1931, à l’aube de ce qui sera appelé à terme le « cinéma parlant », le jeune cinéaste Mervyn LeRoy se situe à l’orée d’une période très faste de sa carrière. Déjà réalisateur la même année du Petit César, film fondateur parmi les films de gangsters, il retrouve le grand Edward G. Robinson pour réaliser Five Star Final, un film moins connu, mais bien de son époque, et toujours d’actualité.


Pour Five Star Final, Edward G. Robinson a troqué son costume de gangster pour s’installer au bureau d’un journal à sensations et en perte de vitesse, voyant son tirage diminuer, et devant trouver un moyen de captiver à nouveau le public pour regagner de l’influence. Le spectateur est directement plongé dans les coulisses de ce journal, faisant la rencontre de certains de ses employés, dirigeants et actionnaires, qui s’activent pour trouver l’issue à la situation délicate à laquelle ils sont confrontés. Tous cherchent un certain Randall, rédacteur en chef du journal, qui demeure introuvable. Il faudra un certain temps pour que ce fameux Randall apparaisse à l’écran, après une attente et un plan suggérant toute l’importance que cet homme aura dans l’histoire qui va nous être contée.


Randall, qui est donc le personnage principal du film, ici campé par Edward G. Robinson, est un homme d’expérience, qui connaît tous les rouages du métier et qui sait comment s’y prendre, notamment dans les démarches les plus machiavéliques pour écrire l’histoire qui fera sensation. Cette nouvelle « mission », qui consiste à déterrer un vieux fait divers qui avait défrayé la chronique, ne suscite pas un enthousiasme particulier chez Randall, mais le cynisme l’a renforcé et refermé sur lui-même, le poussant à mener ce projet sans états d’âme. Pourtant, Randall est loin d’être le plus redoutable, à l’image de son subordonné Isopod, campé par Boris Karloff, qui se montre encore plus persuasif et pervers. Cette image de journalisme empoisonné se projette aussi sur le personnage de Kitty Carmody, la jeune reporter aux atouts aussi utiles pour les dirigeants du journal qu’ils ne les aveuglent. Five Star Final présente et enclenche tous les rouages d’une mécanique perverse, qui broie ceux sur lesquels elle a jeté son dévolu.


Si Five Star Final parle de presse à sensations, le film ne verse jamais lui-même dans le sensationnalisme. Au contraire, il se montre très froid, sans fioritures, que ce soit par la construction très logique et minutieuse dont il fait preuve au niveau du scénario et du montage, ou dans l’absence d’utilisation de musique pour accompagner le film. Il s’agit ici de montrer le manque de compassion et d’empathie dont le journal fait preuve à l’égard de Nancy Voorhees, jugée coupable par le public et par la presse, alors qu’elle n’a en réalité été qu’une victime. Cela donne lieu à quelques moments marquants, comme la séquence où, désemparée, elle cherche à joindre le journal pour éviter que le mariage de sa fille soit ruiné, et qu’elle apparaît, en split-screen, au milieu de Randall et du directeur du journal, Hinchecliffe, sans que la moindre attention lui soit accordée. Alors qu’elle est au milieu de tous, au cœur de l’attention de tous, personne ne daigne lui tendre une oreille.


A l’heure du dénouement, Randall se présentera comme étant le plus rationnel, comme le moins coupable, mais il est impossible d’y trouver une quelconque satisfaction tant le cynisme s’est emparé de ce monde. Même s’il se lave précautionneusement les mains à chaque fin de journée, comme pour symboliser l’élimination de toute la crasse qu’il a accumulée toute la journée en écrivant, personne ne gagne et tout le monde perd. Deux ans plus tard, James Cagney succombera aussi aux sirènes du sensationnalisme dans Picture Snatcher, un autre film témoignant des dégâts de la presse à sensations à l’époque. Des films d’époque, mais leur sujet et leur traitement fait forcément écho à notre époque également, et cela justifie encore une fois cette conclusion pleine de cynisme et de désespoir.


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le 30 sept. 2021

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