Le blasphème fait journal
La Gazette est un torchon new-yorkais qui pète plus haut que son cul et abreuve, sous l'impulsion de son rédacteur en chef à l'intégrité et l'éthique journalistique encore irréprochable, la masse badaude et illettrée de la Grosse Pomme d'articles économiques, politiques et culturels pointus. Malheureusement, faute d'une ligne directrice cohérente avec l'image et surtout les objectifs financiers du journal et face à un tirage toujours plus déclinant, un repositionnement stratégique radical est opéré par son propriétaire : adieux journalisme, investigation et articles de fond, bonjour première page racoleuse, titres sentencieux et photos sordides. Pour lancer cette nouvelle version trash de leur journal, c'est dans les tréfonds de leur mémoire qu'ils vont déterrer une vielle affaire de meurtre et leur fil rouge éditorial. L'histoire, celle d'une secrétaire enceinte assassinant son patron qui refusait de l'épouser conformément aux pratiques en cours, remua la métropole en son temps, il y a vingt ans de ça, et est restée bien encrée dans l'esprit de ses habitants. Du pain béni, le ticket d'or pour nos as de l'édition! Ni une ni deux, toute la rédaction est réorientée dans ce sens et concoure à faire de leur torchon miteux un bout de papelard que même le plus crade des SDF n'utiliserait pas pour se torcher l’arrière-train. La vulgarité atteint des sommets, les ventes sont à nouveaux à la hausse, et au milieu, une famille est prise en tenaille, pris dans le feu nourri de l'hystérie de collective.
"La mort d'un homme est une tragédie. La mort d'un million d'hommes est une statistique." disait Staline. Si l'intéressé avait plutôt dans l'idée d'en tirer une fable propagandiste sur l’héroïsme au combat, LeRoy (comme le vit Wilder quelques années plus tard dans son excellent Gouffres aux Chimères) y aurait vu le reflet d'une certaine pratique qu'on pourrait qualifiée par abus de langage de journalistique. Les films de l'ère pré-Code avait fait de la presse à scandale et du déclin du journalisme face à l'appât du gain, un sujet de prédilection source de critiques virulentes et de situations embarrassantes. Ce film en est sans doute le plus bel exemple avec le Picture Snatcher de Lloyd Bacon. Mais là où ce dernier se concluait par une fin heureuse et somme toute assez consensuelle (mais on s'en fichait puisqu'il y avait Cagney), Five Star Final se termine par une vision bien plus pessimiste de la profession. Le rédacteur en chef, magnifiquement interprété par l'immense Robinson, a beau se laver les mains quinze fois l'heure et démissionner sous le poids de la culpabilité, rien n'y fait, le mariage de la presse et du scandale est consommé et file droit dans le vingtième siècle. La mise en scène est brillante, le casting aux petits oignons (Karloff fourbe et menteur comme un arracheur de dents et la sublime Marian Marsh, touchante) et on peut se réjouir que LeRoy et Robinson n'aient pas connu le vingt-et-unième siècle tant leur conviction dans le film semble ancrée en eux.
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